31 décembre 2008

Barbatrucs et Barbecues

La Barbade est une île qui déstabilise un peu les aficionados des Antilles, en ce qu'elle concentre sur sa petite surface un ensemble de cultures, modes de vie et architectures disparates, empruntant tout à la fois aux traditions carribéennes comme à la vieille Angleterre qui avait jadis occupé les lieux, sans oublier l'influence permanente des Etats-Unis tous proches. Le résultat de ce mélange est surprenant, entre musique locale, accent américain, culture rasta et bâtiments en vieilles pierres de taille avec clochers dans le pur style britannique du 17e siècle. Et noooon, les habitants de la Barbade ne s'appellent pas les "Barbatrucs", ce sont les "bajans".

A la Barbade on trouve : des plages de sable blanc, un gros hôtel Hilton au bout de la baie, des quartiers populaires avec des maisons en bois aux couleurs vives, un centre ville bouillonnant d'activité avec des rues étroites où s'entassent grands magasins en tous genres - les fameux "malls"-, des fast-foods à tous les coins de rue (les rois ici : KFC et "Chefette", chaîne locale qui arbore un code couleur tout à fait criard jaune et indigo mais qui fait de bonnes crèmes glacées), et des duty free en veux-tu-en-voilà (cependant si on veut acheter au prix détaxé, il faut aller récupérer ses paquets à l'aéroport, ce qui n'est pas évident quand on est en bateau). Sur la plage il y a quelques bars ou clubs qui louent des parasols mais heureusement ils sont en nombre limité ce qui fait qu'il reste une belle étendue de sable vierge, libre de tous transats-à-touristes. Sur l'eau on voit pas mal de jet-skis et une innovation pour le moins surprenante que je n'avais jamais vue : le "canapé-ski", un canapé gonflable fluo où s'agglutinent des ados déchaînés, et qui se fait trainer fond de train par un petit bateau hors-bord, laissant derrière lui un agréable sillage de cris suraïgus hystériques. A quelques 200 mètres de l'endroit où mouillent les voiliers, il y a une très belle épave d'un vieux galion d'environ 12 mètres, parfaitement conservée, posée par 5 mètres de fond, autour de laquelle évoluent sans la moindre crainte des centaines de poissons colorés. Un vrai festival pour les yeux, sans même avoir besoin de bouteilles : c'est pas beau ça ?

Ici, nous avons rencontré plusieurs équipages français - ou francophones - qui avaient choisi, comme nous, l'escale la plus proche au bout de la transat'. Nous avions tous organisé un petit buffet en plein air pour le soir de Noël, ce qui a été l'occasion de faire plus amplement connaissance, même si plusieurs se connaissaient déjà bien depuis les Canaries. Parmi eux la fort sympathique équipe du Kiss Mi, ou les petites familles comme Carine et Jean-Claude sur Mahi-Mahi et l'équipage du Maranata. Il n'empêche, il nous semble que parmi les français en voyage autour de l'Atlantique, il y a une réelle surreprésentation des marins bretons : comme quoi, ces gens de mer ne font pas mentir la légende ! Aujourd'hui, nous ne sommes plus très nombreux à être restés flâner à Bridgetown, mais il y a encore près de nous Flo et Franck sur Austral, leur joli petit Brise de mer 28, ainsi que André et Gertrude, très chaleureux couple québécois sur Orca Minor. Nous avons d'ailleurs trouvé tous les 6 un plan pas mal pour le réveillon de ce soir : un petit resto du coin propose un menu sympa avec musique live et feu d'artifice à minuit, que demander de plus ? :)

En tout cas nous nous plaisons ici et c'est pour mon plus grand plaisir que nous pratiquons à nouveau notre anglais parlé. J'ai trouvé dans une librairie un petit livre de cuisine des caraïbes facile et qui ne nécessite que des produits de base que l'on trouve partout ici (bananes, riz, poisson, patates douces, épices...) : j'ai fait une tentative hier de poulet au four farci à la carribéenne et sa sauce sucrée au rhum et c'était un bon début je trouve. Pendant ce temps, notre mini-barbecue n'a pas encore repris du service mais nous allons très vite y remédier en ressortant ligne et palangrottes. Il me semble par contre que nous n'avons pas encore récupéré de notre fatigue physique de la traversée, car malgré les longues nuits que l'on s'octroie, il faut toujours une sieste pour chasser le sommeil qui vient nous assomer en milieu de journée. Pourtant, on n'est réellement pas hyperactifs ! On s'est même fixé un principe de conduite : pourvu que l'on fasse au moins une chose utile par jour (des courses, une lessive, un bricolage sur Grégal), c'est bien. Vous imaginez à quel point nous sommes débordés...

Nous prévoyons, le 2 janvier, de nous diriger au Sud vers Grenade, "l'ïle aux épices", à environ 150 milles d'ici, pour ensuite remonter tranquillement tout le chapelet des petites Antilles, pendant les 4 mois qui viennent et qui précéderont notre traversée retour. Bon, inutile de dire que le programme sera en majorité voué à la détente, en effet on n'a rien de bien précis comme itinéraire et on se laissera aller au gré des mouillages. Il faut bien ça pour récupérer, après tout :)

30 décembre 2008

La vie à bord sans frigo

Après cinq mois de vie en mer, qu'en est-il de la vie à bord sans frigo ? Contre toute attente, on s'en sort plutôt bien. Très bien même ! Nos petits sondages sur les équipages rencontrés concourent tous à la même conclusion : le frigo c'est un luxe assez sympa pour des boissons toujours fraîches, du beurre ferme et pour conserver quelques restes, mais ça reste un énorme wattophage. Sur Grégal, notre éolienne et notre petit panneau solaire de récup (55 watts) nous permettent de maintenir nos batteries de servitude tout en profitant de temps à autre du branchement d'un appareil électrique (ordi, mixer...). Mais ça en reste là.

Nous nous sommes peu à peu lassés d'aller chercher de la glace pour alimenter notre petite glacière de camping. Mais nous le vivons très bien. Il suffit d'apprendre à se passer de bières et de jus de fruits froids, et finalement, côté conservation des aliments, sans frigo, on n'a pas tant à se priver que ça.

  • Les fruits et légumes frais :
A mon sens, concernant les fruits, les oranges, les pamplemousses, les citrons et les pommes ont la palme de la longévité de conservation hors frigo. Stockés dans un filet suspendu, en évitant qu'ils ne soient trop entassés, on peut facilement les conserver deux, voire trois semaines d'affilée. Les bananes se gardent assez bien, mais pour en profiter plus longtemps il faut aussi en choisir des vertes, qui arrivent à maturité au bout d'environ une semaine ou dix jours. En revanche, et particulièrement en traversée, les kiwis, poires, mangues, raisins terminent vite en purée. Nous les réservons aux escales, et les consommons rapidement.
NB : On trouve de l'Espagne jusqu'aux Antilles de belles prunes violet foncé, entre la quetsche et la pêche, au goût acidulé, et qui se conservent très bien.

Pour les légumes, les aubergines, choux, courgettes et même les tomates (si elles sont placées dans une cagette ou un grand tupperware) se conservent plus de deux semaines (la palme allant aux aubergines et aux courgettes). Les courges et potirons entiers, de petite taille, sont aussi bien pratiques. Par contre, j'ai toujours trouvé très difficile de garder des carottes, qui soit rabougrissent en moins de deux jours si je les mets dans le filet, soit pourrissent même si je les roule dans du papier journal (technique lue sur le site d'un navigateur) et que je les enferme dans un sac rangé dans un équipet, même bien ventilé...

Les pommes de terre et les patates douces se conservent évidemment plusieurs semaines, voire plusieurs mois si elles sont placées à l'abri de la lumière. C'est le nec-plus-ultra en traversée. Nous en faisons une grande consommation. Idem pour les oignons et l'ail qui se gardent des temps et qui servent à chaque plat.

J'ai constaté que le gingembre frais se garde plusieurs semaines aussi : les racines flétrissent un peu mais ne perdent rien de leur arôme.

Pour les herbes aromatiques fraîches (coriandre, persil...) le mieux que j'ai trouvé et de couper un peu les queues et de les placer dans un verre d'eau. On les conserve ainsi au moins une semaine, en changeant l'eau régulièrement.

Pour la salade verte, j'ai remarqué qu'elle se gardait au maximum deux jours, avant de commencer à s'abimer.

  • Les laitages :
- Le lait : il se conserve assez bien en briques UHT de 1 litre, mais comme une fois ouvert il se garde très peu de temps hors frigo, nous le remplaçons par du lait en poudre qui sert à tout : crêpes, cagé au lait, béchamel, et même à la confection de yaourts maison !
- Le beurre : difficile voire impossible de conserver du beurre sans frigo, me direz-vous. Eh bien si ! Grâce au beurre hollandais en boîte : d'un goût délicieux tout à fait comparable à votre plaquette Président, il se garde des mois en fond de cale, et une fois ouvert, il se consere jusqu'à dix jours grâce à sa petite boîte métallique ronde et son couvercle en plastique. On le trouve en version salé ou nature, surtout en Espagne et aux Canaries même si nous en avons aussi trouvé quelques boîtes au Cap Vert. Il est donc judicieux d'en faire une grosse provision car il ne se trouve pas forcément facilement aux Antilles.
- La crème fraîche : en briquette version liquide, elle se conserve parfaitement dans les placards et nous sert pour de nombreuses préparations. En Espagne et en Italie, on en trouve qui sont parfumées : avec des morceaux de champignons, au saumon, aux trois fromages... Nous regrettons de ne pas en avoir pris plus car ces briquettes se sont révélées très utiles en traversée, pour accompagner les pâtes, quand la météo ne se prêtait pas à faire rissoler des champignons ou que notre stock de fromage était épuisé.
- Les yaourts : les yaourts que l'on achète au rayon frais des supermarchés se conservent parfaitement jusqu'à une semaine hors du frigo. Cela dit, nous avons trouvé (au Cap Vert et ici à la Barbade) des yaourts UHT, vendus dans les rayons traditionnels, et qui se conservent des mois dans un placard : autant dire, une aubaine pour nous, et nous en avons fait une abondante cargaison.

  • Les oeufs :
Un incontournable pour nous en mer comme au mouillage. Les oeufs sont si polyvalents que leur absence mine le moral. On les mange frais à la coque, le matin au plat et au bacon grillé, le soir en omelette, on en fait des tartes, des quiches, des gâteaux, des flans, de la crème anglaise, des crêpes... Bref : les oeufs sont miraculeux et délicieux. Ils se conservent très bien dans leur boîte, à condition de retourner celle-ci tous les 5 jours pour éviter que le jaune ne viennent se coler au fond de la coquille, ce qui entâche à terme leur conservation. Pour la transat', j'en ai acheté 4 douzaines (bon, c'était un peu trop je l'avoue, il m'en est resté une douzaine en arrivant à la Barbade) au marché du Cap Vert, puis je les ai enduits de parafine fondue pour empêcher que l'air ne s'échappe par la coquille poreuse et que l'oeuf ne tourne trop vite. Seul ennui avec la parafine : impossible de mettre l'oeuf à cuire dans l'eau des pâtes ou du riz, il faut le faire séparément...

  • Le poisson et la viande :
Nous ne sommes pas de gros consommateurs de viande, par conséquent, nous en achetons essentiellement aux escales et nous régalons alors, mais jusqu'ici nous n'avons pas tenté d'en conserver à bord (conserves ou séchée).
Pour le poisson, nous avons souvent fait des bocaux lorsque la bête était trop grosse pour être dégustée en un seul repas. Il suffit de prendre un beau morceau cru sans peau (filet ou darne), de le déposer au fond du bocal (ce dernier préalablement ébouillanté) en laissant 2 à 3 centimètres entre le poisson et le couvercle, d'assaisonner (sel, poivre, voire un clou de girofle ou des herbes de provence), de fermer le bocal avec un joint neuf, de le déposer dans la cocote-minute remplie d'un fond d'eau (qui arrive aux 2/3 de la hauteur des pots) et de stériliser à la vapeur pendant environ une heure et demi. Ces conserves "maison" sont délicieuses pour accompagner pâtes, salades, faire des rillettes, de la mousse de thon... Nous n'avons en revanche pas eu le courage de faire sécher du poisson, principalement parce que c'est assez fastidieux, que ça sent fort, et que plusieurs personnes qui avaient essayé nous ont confirmé que le goût - prononcé - et la texture - caoutchouteuse - n'étaient pas des plus agréables. Le mieux, c'est finalement de pêcher de petites prises, parfaites à faire au four ou au barbecue en une fois !

26 décembre 2008

Joyeux Noël !

La traversée vue par Tom

Je n’aime pas trop écrire (ouais… c’est pas facile non plus entre deux billets rédigés par Aude, hein ?) alors j’ai concocté un condensé presque purement descriptif et chronologique de notre traversée en vidéo. Le texte, par contre, décrit mon ressenti à chaud, ni plus, ni moins. Sans fioriture ni tabou. A la relecture je me rends bien compte que ceux qui me connaissent pourront être surpris. Dites-vous alors qu’il faut peut-être le vivre pour comprendre. En attendant, branchez les haut-parleurs et suivez le fil.

Ça commence comme ça.



Tout est simplement merveilleux. Les jours suivants sont du même style, les conditions sont exceptionnelles et je regrette seulement qu’on ne nous donne pas 5 nœuds de vent en plus pour arriver avant 2009 ! Les quarts sont bien établis et on entre lentement dans le bain de la longue croisière : rapidement un café renversé peut me faire sortir de mes gonds et un soleil couchant m’attendrir de manière surprenante.



Le 12 décembre 2008, milieu de matinée, le ciel est rempli de long cirrus. Tout devient gris en seulement quelques heures en fin d’après midi. Les éclairs viennent ensuite illuminer par intermittence la nuit noire. Le vent forcit, c’est bien. Il forcit encore, c’est inquiétant. Viennent alors les premiers grains, terrifiants après 6 jours si calmes. 10 heures plus tard c’est le coup de tabac. Je commence à me poser de sérieuses questions. Très vite je ne m’en pose plus et, intimement, mais surtout sans faillir aux yeux de ma princesse, je prie pour que le vent cesse de monter et que le prochain grain nous épargne. Malheureusement la météo indique que ce n’est que le début. Nous sommes bientôt à mi-distance entre l’Afrique et les Antilles, ça commence à burler sérieusement et la mer est assez hostile. Le pilote tiendra encore la barre jusqu’à la première aulofée dangereuse.


48 heures ont passé, le vent finit par faiblir et le « bouchon » redevient alors voilier. Je n’ai presque pas dormi depuis plus de 2 jours. Le soleil se montre un court instant à l’horizon. Je relâche la pression et c’est le coup de blues. Je réalise alors mon arrogance. J’ai la sensation que les éléments m’ont donné une leçon, un rappel qui sonne en moi comme cela : « Tu t’aventures sur notre plus grand terrain de jeu en imaginant qu’on va te pousser tranquillement de l’autre côté ? Ecoute nous bien merdeux : On t’envoie un petit coup de vent avec du grain pour que tu comprennes où tu es et surtout ce que tu es. ». Ici le mot « modestie » a plus de sens que dans n’importe quelle autre circonstance. On peut le comprendre, mais il faut le vivre pour véritablement l’intégrer. Il m’a fallu du temps, du sommeil et quelques larmes dissimulées sous les grains du lendemain pour récupérer de cette claque prise en pleine gueule.



Le calme est revenu et les jours défilent avec leur lot de petits grains qui nous font ranger toutes les voiles en moins de 30 secondes parce que la leçon a été parfaitement assimilée. Je me fais complice de l’environnement et de bonnes vibrations ressurgissent. Pourtant la pluie tombe en permanence. Tout est trempé. Alors on s’enferme vite dans notre bateau parce qu’on s’y sent tellement bien dans ces moments-là.



Et puis on redevient arrogant parce qu’on ne se refait pas en 18 jours.



Mais l’Océan a toujours le dernier mot. Il nous envoie 2 jours de pétole pour calmer mes ardeurs. Je me sens bien ici et je ne suis pas pressé. J’ai véritablement admis qu’il n’y avait pas d’autre choix que de me plier aux circonstances tout en essayant d’en tirer partie pour continuer d’avancer. La vie devient plus simple et l’angoisse du gros temps disparait complètement.



Finalement le vent revient et Grégal file de nouveau dans les alizés. Les milles défilent avec un vent à 15 puis 20 bons nœuds au grand largue. Le génois, légèrement déventé par la grand voile, faseye parfois sur la chute comme pour m’inciter à venir plus au vent, histoire de prolonger l’aventure. Je me sens de mieux en mieux, le ressenti de chaque émotion est maintenant démesuré mais j’élimine rapidement les mauvaises avec le sourire. Je me sens vraiment bien ici.



La terre est en vue après 18 jours sur l’eau. Moment intense où j’ai le cœur serré. Je pense à celui qui m’a chuchoté ce voyage dans l’oreille et qui doit être si fier, d’où il est, de me voir arriver de l’autre côté. Je pense aussi à ceux qui m’ont jugé inconscient avec un sourire non dissimulé sur le coin des lèvres, sans rancune. Je promets à mon fier Grégal de le remettre d’aplomb dans ces prochains mois tranquilles aux Antilles.



Voilà, l’ancre est jetée dans l’eau turquoise de Carlisle Bay. Nous sommes arrivés et comme j’ai une autre promesse à tenir, je m’exécute dans l’instant. Vous ne verrez pas de vidéo mais je peux l’écrire. Je descends dans le carré, ouvre mes cales préférées pour en sortir ma meilleure bouteille de Génépi. Je remplis un verre des plus généreux, celui qui tuerai un cheval, et puis je ressors dans le cockpit, debout, le verre dans une main, l’autre main appuyée sur la bôme. Je partage encore 30 secondes de traversée, la tête tournée vers l’Océan, pour le remercier, et laisse couler doucement mon verre par-dessus bord. On s’est compris.

Musique : Damien Rice "Delicate", Israel Kamakawiwo'ole "Somewhere over the rainbow", Finley Quaye "Your love gets sweeter", Marco Masini "Perché Lo Fai", The Avalanches "Frontier Psychiatrist", James Brown "It's a man's man's man's world".

23 décembre 2008

Destination Antilles : J+18 : L'ancre est jetée à 10h30 :)

Ça y est, c'est bouclé ! On est arrivés à Bridgetown (La Barbade) et c'est un grand moment !

Le vent nous aura accompagnés jusqu'au bout, sans doute pour nous féliciter de notre persévérance acharnée ! Hier soir on a eu le courage de ranger le bateau pour l'arrivée et les quarts se sont tranquillement succédés jusqu'au petit matin : 75 milles, pensez-vous, ça s'avale en une nuit ! On a commencé à apercevoir les premières lumières de La Barbade, il faisait nuit, mais quel bonheur ! On s'est approchés de l'île, à 6 nœuds, bon vent N-E dans le génois et la GV, poussés jusqu'au bout on vous dit ! :) Jusqu'au moment où on s'est dit : "Tiens, on n'a pas vu de dauphins dans cette traversée". Et bien c'était parler un peu vite, car en arrivant à moins de 50 milles des côtes, ILS ETAIENT LA ! Un petit banc de dauphins qui nous accueillait avec la cordialité qu'il se doit aux Antilles. On a longé la côte tranquilou, sous le soleil, à admirer toute la verdure et les plages de sable blanc. La mer était belle, lisse, et on a posé l'ancre après un long bord de près à plus de 7 nœuds, comme si Grégal nous remerciait enfin : "Ah les gars, vous m'avez fait me traîner et rouler tout ce temps, mais voilà que je retrouve ma VRAIE nature ! Une bonne gîte à 45° et le vent qui s'engouffre dans mes voiles bien bordées !". Y'a pas à dire, un vieux bateau de régate ne se refait pas. Toujours aussi ardent après tout ce temps.

Sinon, ben on vous tire à tous notre chapeau bas. A peine arrivés et restaurés avec un vrai déjeuner dans un bon resto - ET UN COCA GLACE ! - , on s'est précipité pour lire vos commentaires. Quel plaisir de se savoir suivis et encouragés ! On se disait bien que quelqu'un quelque part devait nous lire, mais alors là vous vous êtes tous surpassés en drôlerie, en à-propos, en soutiens de toutes sortes ! On se dit que c'est presque meilleur de lire vos interventions que de relater nos aventures ! Alors oui, ça y est, on y est et la Barbade ne fait pas mentir la réputation des Antilles : il fait beau, il fait chaud, le bateau est mouillé auprès d'une quinzaine d'autres voiliers, la mer est turquoise et le sable de la plage est blanc et rose, avec une lisière d'arbres verts. Pas encore croisé de Père Noël en short et tatanes ! Mais ça ne saurait tarder ! (Profitez quand même du vôtre même s'il est violet, il devait y avoir rupture de feutrine rouge chez Mondial Tissus). Par contre Gérald on va te décevoir, on n'a pas eu le courage de lancer la ligne ! Et oui, on était si sûrs d'en retirer une bête de 10 kilos que ça nous a épuisés d'avance ! (Mais il faut dire qu'en mer on avait moyennement d'appétit, et que bien souvent on avalait un peu n'importe quoi et le poisson ne venait pas en top de la liste de nos grignotages !). Qu'importe, tu verras, on se rattrapera comme de vrais prédateurs dans nos pérégrinations entre les îles ! Alber, toujours là, à tous les posts, le vétéran de la première heure, qu'on adore ! Léa, Kim, Céline, merci de vos appuis pour m'aider à tenir le coup contre l'odieux capitaine, je m'en vais m'enregistrer aux Club des Exutoires par précaution pour la transat' retour ! :) Joub, merci pour les vers lyriques, un peu de poésie dans ce monde de marins ne fait jamais de mal ! Perrine, Claire, Marie-B, le comité de soutien spécial (Perrine tu nous a bien fait marrer sur tes interventions) ! Nono, on est toujours pas chez les martiens mais on va passer pour de vrai par les Bermudes alors là, au moins, on sera prévenus si un truc louche nous arrive ! Grégalfan, l'unique, le Vrai, celui qui nous a réchauffé de coeur avec ses anecdotes qui sentaient tellement le vécu que ça nous a fait nous sentir moins seuls dans les situations délicates, avec en prime toujours la petite recette de cuisine-facile qui va bien avec :) Pierre Parkinson qui en quelques mots sur l'Iridium a montré qu'il avait tout compris. Bestel, garde-nous une petite bouteille de Merlot et un paquet de Haribo, ça nous requinquera au retour ! Les Mamans, bravo, vous avez été super stoïques ! Les soeurettes, vigilantes au fil du feuilleton, merci d'être restées à l'écoute même si on ne tenait pas forcément toujours le suspense d'un Urgence ou d'un Lost... Bon et puis merci à tous les autres qu'on a pas cités mais qui ont été lus avec la plus grande joie.

Mais tout ne s'arrête pas là ! Tom-le-Réalisateur-fou vous a concocté une série de petites vidéos qui restituent tellement bien l'ambiance de la traversée qu'elles feront partie, c'est sûr, de nos meilleurs souvenirs. Juste le temps de s'abonner à un spot Wifi parce que notre captage de réseau actuel ne permet pas pour l'instant de les uploader.

Voilà, on va malgré tout essayer de ne pas se laisser ramollir par le ti-punch, Richard Cocciante et le sable blanc et de tenir la cadence.

A très vite pour toutes les mises à jour des messages restés en attente !


22 décembre 2008

Destination Antilles : J+17

Cela fait 3 jours que les alizés soufflent entre 15 et 20 nœuds ENE, merveilleux ! La nuit dernière fut ma première nuit depuis 9 jours sans grain. Des étoiles et un bout de lune, magnifique. Je n'ai pas de carte marine à jour de La Barbade et le sondeur refuse de fonctionner depuis notre départ du Cap Vert. Nous naviguons donc légèrement sous toilé pour s'assurer d'arriver de jour. Sinon nous prendrons la cape le temps nécessaire. Arrivée prévue demain dans la matinée à Port St Charles. Le GPS m'indique qu'il reste 75nm à parcourir, ça fait bizarre de voir un nombre à 2 chiffres, on s'était habitué à en voir 3 ou 4. Sans doute le dernier empannage de la traversée dans 5 ou 6 heures.

13°30.9629 N    058°21.6482 O ; Cap 268° ; 4.8 nœuds




21 décembre 2008

Destination Antilles : J+16

Dimanche 21 décembre

10h30 GMT : L'alizé, le pur, le vrai, a soufflé toute la nuit, autour de 15 nœuds, parfois plus, poussant Grégal au grand largue vers la Barbade à plus de 6 nœuds en moyenne. La nuit était remplie d'étoiles, une myriade scintillante qui nous a réchauffé le cœur. Dans mes longs quarts de nuit, je m'organise de mon mieux pour faire passer le temps agréablement. Cette nuit, j'ai terminé un autre livre. Je n'ai jamais autant lu en quelques mois. C'est un bonheur et plus je lis plus de progresse : au début du voyage il me fallait bien une heure pour lire 10 pages, maintenant, je peux terminer un livre de 500 pages en deux semaines. La Barbade est à présent à moins de 300 milles et nous avons décidé de nous y arrêter. Nous aurons bien le temps, une fois remis sur pieds, de tracer un long bord de 150 milles vers Grenade. Une bagatelle, après tout.

Certaines de nos provisions se sont taries prématurément, erreur de prévisionnel d'avitaillement. Par exemple, les biscuits type Thés bruns que Tom grignote de marnière intempestive, nappés d'une couche épaisse de Nutella, sont partis en fumée. L'énorme paquet de 60 unités importé d'Espagne n'a pas fait long feu. Idem pour le Nutella, du coup, il n'en reste qu'un fond dans un petit pot et heureusement que nous arrivons, sinon ça serait le drame. Idem pour tout ce qui concerne le petit déjeuner : envolées, les dernières biscottes, les pains grillés suédois, et même le dernier paquet de flocons d'avoine. On ne mesure pas à quel point les fréquents en-cas (souvent à chaque début de quart donc toutes les 4 heures) font rapidement descendre le stock de ce type de vivres lors d'une transat'. Mon stock de farine s'est révélé lui aussi insuffisant. Il faut dire que deux de mes paquets avaient été infestés par les mites alimentaires avant même l'ouverture. Cela dit, il m'en est resté suffisamment, du moins jusqu'à hier, pour cuisiner quelques petits sablés, brioches, crumbles ou tartes, qui font naître à chaque fois un grand sourire de gamin sur les lèvres du capitaine quand il se lève pour prendre son quart et qu'il les trouve sur la table.

Hier, j'ai fait une tarte aux pêches. Il ne nous reste plus de fruits frais depuis 5 jours et je pioche donc allègrement dans le stock de fruits au sirop, que j'avais prévu énorme mais qui au final se révèle juste suffisant. Chez vous, cette tarte simplissime et rapide ne vous ferait aucun effet. Elle ne vous ferait sans doute même pas envie. Simplement parce que c'est assez rédhibitoire de cuisiner une tarte maison avec des fruits en boîte. Mais sur un bateau, au milieu de l'océan Atlantique, cette tarte basique devient une bénédiction. J'ai fait une pâte brisée, 300 g farine, 100 g de beurre hollandais demi sel, 2 cuillères à soupe de sucre, 1 œuf.  Je l'ai étalée dans un plat, piquée de trous de fourchette, et recouverte d'une fine couche de sucre brun en poudre, posé dessus bien précautionneusement mes tranches de pêches égouttées, en faisant gaffe qu'elles ne s'envolent pas sur un coup de roulis, et saupoudré les fruits à nouveau de sucre roux. Puis au four à gaz une heure à feu doux (ce fameux four dont la porte ferme mal et qu'il faut bloquer avec un éplucheur à légumes). Ça ne dore pas beaucoup sur le dessus, mais qu'importe. En la sortant du four, la pâte est juste bien cuite et l'eau rendue par les fruits a formé un caramel avec le sucre. Je vois bien que ça ne vous fait pas envie... Mais imaginez.

C'est un beau Samedi de décembre, disons, à Montpellier pourquoi pas. Il fait frais mais le ciel clair est dégagé et offre une magnifique lumière matinale. Le soleil, d'hiver, bas, adoucit les ombres de tout ce sur quoi il se pose. Vous vous êtes levé tôt, mais pas trop. Juste de quoi prendre une douche et un café chaud en regardant le soleil monter au-dessus des maisons. Vous décidez que c'est une belle journée pour aller au marché. Vous arrivez sur la vieille place aux platanes énormes. Des vieux sont là, toujours partants pour taquiner le cochonnet. Il est 10 heures, vous déambulez entre les étalages, et vous vous régalez de la bonne humeur des producteurs locaux qui, même debout depuis 4 heures du matin pour descendre de leur Lozère, ont toujours le mot pour rire. Vous passez devant ce drôle de type avec son feutre tout élimé et sa moustache de tyrolien qui joue tous les samedis de la guitare manouche, entre le stand à fromages et les poulets rôtis. Sa petite musique gaie vous ragaillardit. Vous vous arrêtez devant le stand de la ferme de Planiol qui fait d'excellents fruits et légumes bios. Vous apercevez les derniers raisins muscats de la saison, et, entre les courges et les petites pommes qui ne payent pas de mine mais qui sont si sucrées, votre regard est attiré par un joli lot de poires Comices, qui ont l'air mûres à point. Vous en prenez un bon kilo. Avant de retourner à la maison, vous en profitez pour acheter deux jolis pélardons demi-secs, un pot de miel de tilleul à l'apiculteur qui semble toujours porter cette sempiternelle chemise à carreaux et enfin, un gros pain au levain bio que vous fourrez dans votre panier. Arrivé chez vous, vous prenez plaisir à pétrir un pâte brisée maison. Pour plus de croustillant, vous y ajoutez un peu de poudre de noisettes. Puis vous épluchez vos poires. Elles sont si juteuses que vous en avez vite plein les doigts. Vous faites de votre mieux pour tailler les plus belles tranches possible. Vous les étalez sur votre fond de tarte, puis saupoudrez légèrement de sucre vanillé. Elles sont déjà bien assez sucrées comme ça. Vous ajoutez une pointe de muscade et à peine plus de cannelle. Vous enfournez dans votre superbe four qui grille sur le dessus et cuit parfaitement sur le dessous, avec chaleur tournante en prime. Vous ajustez le thermostat au degré près, machinalement. Puis vous lancez une pleine cafetière de café filtre en écoutant distraitement la radio. Le temps que votre douce moitié se réveille, la tarte aura bien cuit. Elle sera juste dorée, les poires auront rôti doucement, et, en séchant un peu, se seront caramélisées délicieusement. Vous dépaquetez vos pélardons, votre miel, et coupez de belles tranches de pain de campagne. Vous saisissez aussi une bonne bouteille de jus d'oranges sanguines fraiche, tout droit sortie du frigo. C'est sûr, ce sera un excellent petit déjeuner d'hiver.

12h30 GMT : Bon, au lieu de ça, nous sommes coincés ici, au milieu de l'océan, où tout n'est que bleu, blanc, et bleu. Je n'ai pas pris de douche depuis deux jours et j'ai le short trempé de sel et d'eau de mer, parce que ce facétieux pilote se remet à bugger et que quand je me précipite pour prendre la barre, les banquettes du cockpit sont trempées à cause des vagues qui nous arrosent de travers. Nous commençons maintenant à le connaître, ce bon vieux pilote, et avons décelé que c'est le soleil qui lui fait perdre la tête. Et oui, aux premiers rayons qui tapent dans le cockpit, il bipe et refuse de reprendre du service. Pourtant, sous la pluie, la tempête et les grains, jamais il n'a faibli. Il ne doit pas aimer le soleil. Il est un peu comme moi, il aime les côtes grises, vertes et bruineuses de la perfide Albion. Mais lui, c'est un Anglais après tout. Hier nous avons assisté à un magnifique coucher de soleil qui a embrasé le ciel pendant près d'une heure. A la vue de scènes comme celles-là, Tom devient mystique : il me dit que ça lui donne les larmes aux yeux. Moi, je me méfie. L'océan nous a joué bien des tours depuis deux semaines, et ce n'est pas tout d'un coup à la vue des beautés qu'il daigne parfois nous offrir à contempler que je vais tout lui passer. Le vent, lui, est redevenu notre ami. L'alizé continue sur sa lancée, on fait des pointes à 8 nœuds en descente sur les vagues, avec un vent toujours de N-E devenant de plus en plus Est. A ce rythme là, Maxsea nous indique qu'on arrivera à la Barbade le 23/12 en début de nuit. Je m'en réjouis d'avance. La mer devient plus forte, les crêtes des vaguent moutonnent allègrement et les creux se font plus profonds, faisant monter et descendre Grégal de manière assez inconfortable. Ce sont sans doute les prémices du gros coup de vent qui doit arriver sur notre zone le 24/12 : le fichier Grib indique des données qui ne font pas envie : des Antilles à 400 milles à l'est, la carte est couverte de mauvaises flèches rouges qui prévoient des vents à plus de 30 nœuds. Une autre bonne raison de s'arrêter à la Barbade, tiens.

13°30.2499 N    056°10.0644 O - 295° - 6,3 nœuds



20 décembre 2008

Destination Antilles : J+15

Samedi 20 décembre

2h30 GMT : La nuit est incroyablement noire et opaque, sans lune. L'absence totale de lumière crée une drôle d'impression, celle que le bateau qui file doucement à 4 nœuds en moyenne dans une brise inespérée se dérobe sous vos pieds, donnant une sensation diffuse de mal de mer (ce que l'on retrouve comme sensation en ski de nuit). Malgré le fait que les quarts de 3 heures (voire un peu plus en fonction de la forme de l'équipier de quart) soient à nouveau bien établis, sans être perturbés de manière intempestive par des coups de chien ou de mauvais grains, je ressens un peu plus la fatigue : probablement que dans le moments de relâche, le corps se rappelle à votre bon souvenir. L'idée d'une bonne nuit complète non interrompue me paraît de plus en plus désirable, sans doute bien plus en ce moment-même que la perspective de barboter dans les flots turquoises.

4h10 GMT : lever de lune spectaculaire et surréaliste : alors que je passe la tête dans le cockpit apparaît sur l'horizon, dans la nuit noire d'encre, une lumière orange flamboyante en forme de croissant. C'est tellement inhabituel que je me précipite sur le radar pour voir s'il ne s'agirait pas d'un cargo à moins de 200 mètres. Mais non, ouf ! A cette heure-ci, ça ne peut pas être le lever du soleil, il s'agit donc de la lune, une incroyable lune rousse incandescente qui se lève à travers les nuages. Splendide.

11h GMT : Depuis le lever du soleil, nous avons la chance de bénéficier d'un vent de secteur Nord-Est autour de 13 noeuds, ce qui est bien mieux que la pétole attendue. Cette nuit, nous n'aurons fait tourner le moteur que 3/4 d'heure, et c'est assez inespéré. Grégal navigue au travers, nous faisant renouer avec les joies de la force centrifuge provoquée par la gîte, mais il avance allégrement à une moyenne de 6 nœuds. La dépression mourante devrait être suivie, comme c'est coutume, de vents forts de secteur N-E soufflant jusqu'à 25 nœuds d'après le grib. Pour cette raison, le Capitaine a établi un plan B de route, qui nous amène en priorité vers l'île de la Barbade, la plus à l'est de l'archipel des petites Antilles (on est à 377 milles de la Barbade contre 525 milles de Grenade), et seule la météo au soir du 22/12 nous dira s'il est plus sage de faire escale sur Barbade ou de continuer. La mer est peu agitée et le ciel est couvert de cumulus grisâtres, laissant présager le passage de grains.

14h GMT : Contre toute attente, le vent s'est sérieusement renforcé, nous obligeant à prendre le troisième ris dans la grand voile et d'enrouler sérieusement le génois, ce pour soulager le pilote, décontenancé par les départs incessants au lof. Nous filons à une moyenne de plus de 6,5 nœuds, parfois 7, et c'est toujours ça de gagné sur le trajet. Intrigués par ce coup de vent, nous prenons la météo sur le coup des 15 heures GMT mais elle n'indique rien qui aille dans le sens d'un fraichissement avant le 22/12. Les derniers grains légers, se résumant à une pluie légère, se sont résorbés. Le soleil est à présent seul dans un ciel sans nuages, et en fin d'après-midi, la lumière est particulièrement belle.
Justifier
19h30 : Après une période de repos, lecture et loisirs, nous nous décidons à ranger un peu le carré et à remettre de l'ordre dans tout le bateau. C'est toujours mieux pour le moral que d'aborder une période de coup de vent avec un bateau nickel, ça repose les yeux et apaise l'esprit, plutôt que de patauger dans les bouteilles d'eau vides éparses, les cirés qui traînent au milieu de vêtements encore humides qui ont oublié de rejoindre le sac à linge sale, et la vaisselle qui s'amoncelle dans l'évier. Il nous reste 331 milles à parcourir pour atteindre la Barbade, et 479 pour Grenade. Nous ne nous sommes pas encore tout à fait décidés même si la perspective d'arriver un jour plus tôt est très séduisante. Notre vitesse moyenne est de 5,7 nœuds, notre cap 292°. Notre position : 13°27.4136 N ; 053°52.1809 W.




Destination Antilles : J+15 (Sauna Suédois)

C'était une magnifique journée qui s'annonçait en ce début de quart. La mer était belle, à peine ourlée d'une longue houle plate, et le soleil dardait de ses premiers rayons au-dessus de l'horizon. Equipée de mon gilet pressiostatique et de mon harnais de sécurité, j'étais installée à mon poste favori, assise en haut de la descente, les pieds sur l'échelle. A l'avant, dans la cabine, le Capitaine dormait encore du lourd sommeil du Juste.

Au bout d'une petite heure cependant, la chaleur de ce franc soleil dans un ciel sans nuages se fit plus insistante et mon gilet commença à me tenir très chaud. Les yeux rivés sur le spi léger, je vérifiais que nous profitions au mieux de cette toute petite brise matinale.

11 heures : cela faisait plus de deux heures que j'étais à mon poste et la chaleur devenait de plus en plus étouffante. De grosses gouttes de sueur me dégoulinaient dans le dos. J'entrepris d'enduire de crème solaire le moindre centimètre carré de peau qui n'était pas protégé par mes vêtements, car sous les rayons brûlants, ma carnation virait progressivement au rose indien. Sur sa couchette, sans doute lui aussi incommodé par la chaleur, le Capitaine se roulait en renâclant.

11 heures 30 : le soleil cette fois me donnait mal à la tête. Je transpirais à grosses gouttes, et déjà par endroits ma crème solaire dégoulinait en de longues trainées blanches. Soudain, le pilote automatique se piqua de me jouer encore un mauvais tour : il s'arrêta brusquement. Immédiatement, je me précipitai pour le réanimer, mais il était déjà trop tard : le magnifique spi bleu, tirant sur ses écoutes sans doute dans l'espoir de s'envoler dans le ciel clair tel un cerf-volant de géant, s'était enroulé autour de l'étai, aidé par le changement de cap subit. Le claquement de la voile prisonnière, contrariée dans son ascension, ne tarda pas à réveiller le Capitaine qui se précipita sur le pont en criant : "Nom de Dieu matelot ! C'est quoi ce bordel ! T'es pas plus foutu capable de surveiller tes voiles qu'une danseuse orientale éméchée !". Penaude, je m'activai tant bien que mal pour aider le Chef de bord à affaler la voile rebelle, malgré la sueur qui me coulait dans les yeux.

Sans doute attendri par le cœur que je mis à l'ouvrage, une fois notre besogne terminée, le Capitaine se radoucit. Il me regarda en souriant, comme pris de compassion, puis se mit à éclater d'un rire énorme : "Oh là matelot ! Qu'est-ce donc que cette face de tourteau frit ? Faut faire quelque chose, je voudrais pas qu'on m'accuse de cacher un peau-rouge clandestin à mon bord ! Tu sais ce qu'on va faire matelot ? On va se piquer une petite tête tant qu'on a tombé toutes les voiles !". Je ne dis rien, mais ma face de Pierrot exprima, autant se faire que pût, mon enthousiasme et ma sollicitude. Une fois un bon cordage jeté par dessus bord, le Capitaine plongea en marmottant de plaisir : "Rhââ matelot ! Elle est aussi tiède que la soupe wonton du chinois du quai d'Alger ! Tu devrais goûter ça !". Puis, plein d'énergie, il émergea de l'eau dans une gerbe d'écume et entreprit de se faire un shampoing sur le pont. Ecrasée par la chaleur, j'allai m'assoir avec joie sur la plateforme à l'arrière du bateau, pour tremper mes pieds avant d'entrer dans la mer d'un bleu profond.

Alors que le Capitaine était occupé à rincer sa tignasse pleine de mousse, je fixai la grande houle d'un air rêveur. Je remarquai d'ailleurs que les longues vagues avaient pris de l'ampleur. Alors que mes yeux se perdaient dans le bleu noir de l'océan, je me souvins tout à coup que la carte marine indiquait 5350 mètres de fond à cet endroit. Cette profondeur abyssale me donna le vertige : qui sait combien de millions d'animaux marins vivaient là, sous nos pieds, qu'il s'agisse des horribles poissons abyssaux aux loupiotes fluorescentes létales ou bien des calamars géants, acculés depuis des siècles dans les profondeurs par l'intense activité humaine au-dessus des mers ou bien encore, de populations carnassières de requins ?

Je scrutai la surface ridée à la recherche de la moindre petite trace de vie. Rien ne semblait se manifester, mais je savais que cette opacité des flots ne faisait que masquer en surface la réalité de la vie qui grouillait en-dessous, à quelques mètres à peine sous la coque du bateau... La chaleur était malgré tout si insoutenable, que je me risquai à me mettre debout sur le premier barreau de l'échelle du bord. Derrière moi, la houle d'un bleu infini montait et descendait sans relâche. Par précaution, mon regard tenta de percer une dernière fois les collines d'eau avant que je ne me lance, quand mon sang se glaça : j'aperçus - ou crus apercevoir ? - deux énormes ombres remontant des flots noirs. Etait-ce le début d'une insolation qui eût provoqué cette atroce hallucination, ou s'agissait-il simplement de l'ombre passagère des nuages à la surface des flots ? Je ne cherchai pas à en trouver la cause exacte et préférai imaginer le pire : des requins ! Deux de ces affreux monstres qui sans nul doute suivaient sournoisement les navires de passage entre deux eaux, guettant la moindre imprudence d'un membre de l'équipage de leur petit œil jaune pour, en une fraction de seconde, jeter avec férocité leur énorme corps lisse et leur gueule béante sur l'infortuné qui se serait risqué à l'eau. Je poussai un affreux cri d'effroi.

Le Capitaine, qui s'attaquait à la délicate phase du passage du peigne dans sa broussaille mouillée me lança, agacé : "Bon, matelot ! ça vient oui ou non ce plongeon ? Ne me dis pas qu'elle est trop froide pour ton cuir délicat ! On est pas au Club Med ici non plus !". Je restai pétrifiée, crispée de toutes mes forces à la petite plateforme, sans pouvoir articuler le moindre son. Le Capitaine, irrité, ne toléra pas une seconde de plus d'hésitation : "Bon matelot, j'ai pas que ça à faire ! Puisque tu fais ta chochotte, je m'en vais allumer le moteur - dans cette maudite pétole -, ça nous fera un filet d'air sous cette cagnasse !". Puis, comme illuminé tout à coup, il ajouta, goguenard : "Et tiens, puisque c'est midi, je me ferais bien une bonne grosse plâtrée de patates sautées à l'ail ! Qu'en dis-tu matelot ? Puisque tu fais ton frileux, les fourneaux te réchaufferont !".

La tête lourde sous le soleil de plomb, je me levai péniblement, balayant les flots frais d'un regard terne, puis descendis dans la cuisine. En quelques minutes, la vapeur des pommes de terres rissolant dans la poêle brûlante transforma très vite la cabine en sauna suédois, et je disparus dans la brume moite.

19 décembre 2008

Destination Antilles : J+14 : Rider on the Squall

Jeudi 18 décembre : Cette nuit, navigation variable avec alternance de passages à des allures très diverses (et même un moment de prés dixit Tom qui s'est pas mal amusé à régler les voiles), mais le gros du temps, la pétole domine et nous avançons donc au moteur. Nous restons vigilants et à la moindre risée, nous envoyons les voiles. Les grains se sont dissipés même si ils nous ont encore bien arrosés aujourd'hui. Loin des angoisses du début, Tom maintenant s'en réjouit : il les guette à l'horizon, attend la risée, se prépare dans le cockpit et, sous la pluie, regarde Grégal filer à nouveau à 6 nœuds en jubilant. Je l'ai surnommé '"Rider on the squall" (squall = grain). Puis il rentre et il est temps de manger. A ce moment, rien de tel qu'une bonne soupe maison pour revigorer les marins détrempés. A la vue de nos courgettes flétries et devant la disparition de la dernière tomate fraîche, les oignons sont les seuls vaillants à faire bonne figure et c'est un régal de pouvoir en profiter. Voici donc ma recette expresse de soupe à l'oignon, pas très sophistiquée mais qui nous a ravis ce soir :

Soupe à l'oignon (2 personnes)

- 4 ou 5 gros oignons jaunes
- 3 cuillères à soupe de farine
- 2 bouillons-cubes de poule
- poivre du moulin
- un morceau de gouda ou du gruyère râpé

Emincer les oignons en fines lamelles et les faire rissoler dans le fond de la cocotte-minute avec une noix de beurre ou de l'huile d'olive, jusqu'à ce qu'ils deviennent fondants et translucides (pendant environ 15 minutes). Ajouter ensuite la farine, remuer pour bien en enrober les oignons. Mouiller avec suffisamment d'eau pour remplir deux bons bols, incorporer les deux bouillons de poule. Poivrer généreusement. Ajouter le gouda en lamelles (traditionnellement, il faut faire gratiner la soupe au four, mais là avec le roulis et la houle, c'est mission impossible). Fermer la cocotte et au sifflement, cuire 10 minutes. Servir éventuellement avec des croutons de pain ou des biscottes.



Vendredi 19 au petit matin : je termine à 4 heures mon quart de nuit au moteur, mais Tom l'Artiste, qui prend la relève, parviendra à maîtriser une toute petite brise suffisante pour nous faire avancer à 4 nœuds. 8h30 GMT : je prend mon quart dans le spectacle du jour qui se lève sur un ciel clair. Seul un gros cumulus déverse sa pluie à l'horizon, avec l'irréelle apparition d'un long cargo se détachant sur le rideau de pluie. C'est le premier que j'aperçois depuis le début de la traversée. Mon optimisme me dit que c'est signe de bonne augure pour le reste de la route !

Midi GMT : les derniers cumulus se sont évaporés dans l'atmosphère, remplacés par de légers amas vaporeux qui flottent dans le ciel voilé. La température est plus agréable lorsque le soleil ne frappe pas directement. La mer est belle, juste ourlée de longues ondes de houle qui s'étirent en poussant Grégal mollement. La brise a faibli, nous avançons en moyenne à 3,5 nœuds sous un vent de Nord-Est qui ne doit pas dépasser le 3 Bft. Ce sont bien les effets attendus de la dépression qui se manifeste un peu plus au nord de notre route, mais au moins nous trouvons encore un souffle de vent pour avancer. Dans ces conditions, je crois bien que le spi se présente comme l'option la plus intéressante : nous verrons bien ce qu'en pensera le Capitaine à son réveil.

13h GMT : le Capitaine a acquiescé : le spi est en effet une bonne idée ! Pendant que je m'attelle à la réalisation de falafels issus d'une bonne boîte de pois chiches (à la fin d'une longue nav', il faut déployer des trésors d'imagination pour équilibrer les menus !), Tom hisse le grand spi bleu léger. Il nous permet d'avancer avec le petit souffle que nous offre ce début d'après-midi, mais vers 16h GMT, le vent tombe et la pétole sévit à nouveau. Nous affalons le spi et démarrons le moteur. Une fois le plein de 60 litres effectué, il nous reste encore 20 litres en jerrycan, ce qui nous procurera environ 30 heures de moteur en gardant une marge de sécurité de 10 heures. Nous le ferons tourner cette nuit si la brise se refuse à revenir. Il fait très chaud sous un soleil de plomb (35°C à l'ombre) et j'en profite pour faire une sieste à l'ombre de la grand voile, pendant que Tom laisse libre cours à ses talents de réalisateur, la mini-caméra au poing. Nous espérons que la pétole ne va pas durer plus de 2 jours, ce qui est annoncé par les fichiers météo.

19h30 GMT : Notre bon vieux génois reprend du service et nous repose les oreilles du vacarme du moteur. Il fait encore beau, et nous retrouvons l'ambiance du début de la transat' avec mer belle, petite vitesse et apéro au soleil en fin d'après-midi.
Nous sommes passés - laborieusement - sous la barre des 600 milles. Espérons arriver avant Noël, mais c'est plus une vue de l'esprit car nous avons ici à bord de quoi nous concocter un modeste dîner de réveillon :)

Notre position est : 13°36.5740 N  ;  051°52.8266 W. Vitesse moyenne : 3,55 nœuds. Cap : 280°.



18 décembre 2008

Destination Antilles : J+13

Pluie continue depuis 48h. Vent 3/4 bft Est. On en profite pour dormir et bien manger. Les prévisions météo disent vrai : ce soir pétole (la vraie) et ciel qui se dégage avec quelques beaux cumulus blancs au sud. Sans doute moteur toute la nuit. Reste 683nm.

13°38.3130 N    050°13.6035 O – 4,01 nœuds – Cap 281°

17 décembre 2008

Destination Antilles : J+12 : The Truman Show

Rappelez vous : The Truman Show, ce film avec Jim Carrey où le héros, Truman, rassemble un jour toutes ses forces et, décidé à vaincre sa peur viscérale de l’Océan pour échapper au monde dans lequel il vit et dont il devine qu’il est contrefait jusqu’à l’os, s’embarque sur un tout petit voilier et fait route vers le Grand Large. Vêtu de sa petite casquette et son pull de marin, le voilà filant sur les flots, béat, symbole le plus ultime de la conquête de la Liberté. Mais c’était sans compter sur le Maître du Jeu qui, de sa tour de contrôle tout en haut, tire les ficelles et est bien décidé à ne pas laisser son jouet lui filer entre les doigts… Et alors que Truman gagnera du terrain sur la mer, le Grand Régisseur mettra tout ce qui est en son pouvoir pour faire échouer cette tentative de fuite : « Envoyez des nuages ! De la pluie ! Du vent ! Plus de vent je vous dis ! ». Cependant Truman, ballotté sur sa frêle embarcation, tient bon. Résolu à réussir ou à en finir, il s’attache au minuscule voilier, ce que ne fait que redoubler la colère du Créateur. « Augmentez le vent ! Je veux une mer démontée ! Envoyez la foudre ! » « - Heu… Z’êtes sûr, chef ? Ça devient dangereux, là !... » « - Faites ce que je vous dis nom de Dieu ! » hurle le Maître. Et voilà que tous les éléments, au départ favorables, se déchaînent sur le pauvre Truman.

Et bien chez nous, c’est pareil. Ou pas loin en tout cas. Hier en fin d’après midi, nous avions pris la météo, qui indiquait que le vent allait souffler Est ou légèrement Nord-Est. Nous avions pensé profiter de cette orientation pour remettre les deux voiles d’avant et tracer un cap plus horizontal vers l’Ouest, alors que jusqu’alors nous étions descendus plus au sud en GV+génois. Une heure de manipulations plus tard, nous étions bien fatigués, et la nuit arrivait. Le schéma classique s’ensuit alors : minuit, notre passage est accueilli par une série de mauvais grains bien chargés qui nous détrempent jusqu’à l’os. A tour de rôle dans le cockpit, au fil des quarts, nous nous plions au rituel du grain : vigilance sur le vent qui monte, garder l’allure au vent arrière en ajoutant ou en enlevant des degrés au cap du pilote automatique qui lutte vaillamment sous la pluie (ah si nous avions un régulateur d’allure !!!), surveiller les changements de direction du vent qui peuvent être soudains et varier de 90°. Sur le radar, nous surveillons la progression des grains. On les voit arriver de loin, à 12 miles, paquets noirs sur l’écran jaune. Souvent, nous les voyons avancer et leur direction indique qu’ils ont toutes les chances de passer à côté de nous. Et bien non. A chaque fois qu’un grain se rapproche, il se met soudain à changer de cap pour foncer droit sur nous. Autre phénomène intéressant : s’il y a plusieurs nuages de grains, vous pouvez être sûr qu’ils vont tous finir par se rejoindre en un point P qui sera : pile au-dessus de Grégal. Enfin, quand on les voit à l’horizon, déversant leur eau sur la surface de la mer, on peut espérer qu’en arrivant près de nous, ils auront rendu une bonne partie de leur pluie. Il n’en est rien. Ils gardent tous bien précieusement leurs stocks de douches nous les envoyer sur la tête quand ils sont sur nous. A croire que le Maître du Jeu s’amuse comme un petit fou avec le seul pauvre voilier des environs qui a l’audace de vouloir traverser l’Océan.

Résultat, à 5 heures du matin, le vent n’est pas du tout celui indiqué par les fichiers Grib : il souffle complètement Sud-Est. Du coup, nous sommes en train de remonter tout ce que nous avions descendu hier. C’est le découragement. En voyant cela à son réveil, Tom se pique d’un coup de nerfs : il peste contre la météo qui est n’est là que pour nous mette les bâtons dans les roues et il insiste pour que nous affalions tout pour revenir en GV+génois. Cette fois nous sommes assez efficaces et 20 minutes plus tard nous avons terminé. C’était en réalité la bonne option, qui nous a permis de suivre à nouveau une allure grand largue en direction du Sud-Ouest, ce qui est par ailleurs très bien pour contourner par le Sud la dépression qui s’annonce.

Mais la facétieuse météo ne s’arrête pas là. Contre toute attente, le vent qui avait sérieusement molli après les grains se met à redoubler de puissance. 10 minutes à peine après que nous ayons hissé la grand voile et que je sois allée me coucher, Tom se trouve dans l’obligation de prendre un ris de plus et d’enrouler du génois car le vent fraîchit brutalement pour atteindre les 25 nœuds. Et pour couronner le tout, ce coup de chien s’accompagne de la pluie qui va bien avec. Un régal. Entre deux grains, Tom aperçoit le feu de position d’un autre voilier derrière nous qui disparaîtra dans la grisaille, comme un mirage. Quand je me réveille sur le coup des 9 heures, Tom me renvoie dormir, si je le souhaite, car il attend que le vent tombe un peu. A 10 heures, c’est chose faite, il souffle Sud-Est mais autour de 16 nœuds. Les nuages se dissipent peu à peu mais le ciel reste gris. En tout cas, Grégal file à une moyenne de 6 nœuds ce qui n’est pas pour nous déplaire. Nous sommes maintenant pressés d’arriver.



Position : 14°07,61 N - 048°36,18 W ; Cap : 254° ; Vitesse moyenne ce soir : 3,3 noeuds ! (le vent est tombé à 7 noeuds...)

16 décembre 2008

Destination Antilles : J+11 : Le retour de l'ami Ricoré*

Il nous avait quitté depuis longtemps, nous laissant ces derniers jours livrés à nous-mêmes, ballotés par les grains et le vent capricieux... Mais aujourd'hui, il est revenu ! Qui donc ? L'ami Ricoré bien sûr !

Il y a eu cette nuit des signes qui ne trompent pas. Tout d'abord, pour ne pas changer, nous avons essuyé en catastrophe un énorme grain, sur le coup des 1 heure du matin GMT. Quand je dis "énorme", c'est que ce mastodonte mesurait bien 6 milles de longueur sur 3 de large - dixit notre fidèle radar - de masse pluvieuse compacte, dense, noire et menaçante. Nous avons de prime abord tenté de l'éviter, en virant au travers, mais cet impitoyable Malmoth (pour les aficionados du dessin animé "Clémentine") nous a rattrapés, nous obligeant à tout affaler dans l'angoisse et la précipitation, et nous gratifiant d'une bonne douche froide au passage. Une fois la grand voile et le génois rétablis, j'ai pris mon quart sous les meilleurs auspices : ciel dégagé, lune éclatante, alizé stable à 12-13 nœuds nous poussant sur une mer belle à peu agitée  (pas de houle géante ! un régal !). Ce répit a permis au capitaine Tom de récupérer de son sommeil volé par les grains. Au petit matin, quand j'ai repris mon quart, ces belles conditions s'étaient maintenues et j'ai compris que c'était grâce à l'ami Ricoré qui nous apportait "encore (!) une belle journée" à peine "le soleil levé" (NB : on a eu beau attendre "les pains et les croissants", la salive au coin des lèvres, ces derniers ne sont jamais venus : l'ami Ricoré secteur Atlantique est frugal).

Aujourd'hui, donc, grand beau, alizé stable secteur Est 12-13 nœuds, soleil magnifique. Grégal file à 5,5 nœuds en moyenne avec sa bonne vieille configuration de base GV + génois en grand, pour notre plus grand plaisir. En effet, fatigués de devoir nous plier aux caprices de cette météo hasardeuse, nous avons décidé de ne plus nous laisser bêtement pousser (car non ! l'alizé transatlantique ne vous pousse pas toujours dans le dos à 15 nœuds, il peut être changeant, violent ou même très faible, variant sur une palette de nord-est à sud-est, et l'idée de se positionner en vent arrière en attendant benoîtement de se faire pousser est une mauvaise idée) et de prendre les devants. Par exemple, grâce aux Gribs, nous avons repéré une dépression à 400 milles à l'ouest sur notre route initiale (281°W) et cette fois nous ne voulons pas nous ruer dedans, pour se payer de la pétole si on la prend trop près au Sud ou un coup de tabac si on a le malheur d'arriver par le Nord (Rappel : en Atlantique, les dépressions sont des chutes de pression qui font tourner les vents en sens contraire des aiguilles d'une montre : au Nord de la dépression, l'alizé rencontre les vents dépressionnaires qui vont dans son sens et est donc décuplé, provoquant un coup de chien ; au Sud, il se heurte aux vents dépressionnaires contraires, créant une zone de dévente ou pétole).

Nous avons donc pris un cap plus au Sud (251° SW) pour contourner la dépression, quitte soit à continuer après avec l'alizé plein Est et les voiles jumelles, soit empanner et remonter Nord-Ouest si le vent n'est pas favorable à une avancée en ligne droite vers Grenade. Avec le soleil et les conditions clémentes revenues, nous reprenons du poil de la bête, car du coup on peut se remettre à des quarts de sommeil de 3 heures ce qui nous fait le plus grand bien. Tous nos habits ont séché avec la chaleur nouvelle et toute trace de passage de grain est désormais effacée.

Nous sommes passés sous la barre des 900 milles et espérons pouvoir tenir une bonne moyenne de route dans la semaine qui vient ! Notre position est : 14°34.0681 N ; 046°38.6191 W.

A ++, L'équipage du Grégal ragaillardi.

*Dear readers from Canada and elsewhere in the world : you may probably never have heard of this dodgy 'ami Ricoré'. What you need to know, is that it is totally part of the french collective memory. Indeed, it comes from a very famous TV ad for a disgusting chicory powder, which several generation of French have had the pleasure to watch and love, though it is a fairly poor-quality ad I must say. Anyway here are the lyrics of the song that goes with it, for you to enjoy (it rhymes !) :
"Le soleil vient de se lever,
Encore une belle journée,
L'ami du petit déjeuner,
L'ami Ricoré !

Il vient toujours au bon moment,
avec ses pains et ses croissants,
L'ami du petit-déjeuner,
L'ami Ricoré !"



15 décembre 2008

Destination Antilles : J+10

Les dernières 48h ont été pour le moins rigolotes… Alors c’est simple : le ciel est parfois bleu mais bien chargé de grosses masses toutes noires et le vent souffle de l’Est à moins de 5 nœuds quand on n’est pas sous un grain. Il faut savoir qu’on a une moyenne de 3 grains par 24 heures (en général 2 la nuit et 1 la journée).
Alors ces grains ne sont pas très violents c’est vrai, mais comme on s’est fait peur une fois à laisser les voiles, on ne cherche plus : on affale/enroule tout.
Je vous fais un petit bilan de cette journée, tiens. Le matin - après une courte nuit bien mouvementée par 2 vilains grains - toujours plein d’optimisme, on lance un maximum de toile en se disant que, peut être, ça serait réalisable d’avoir 2 GV, 3 spis superposés et en plus un cerf-volant. S’ensuit une longue période à la recherche du meilleur réglage sachant que, bien sûr, pour tenir le cap il faudrait prendre le vent  pile dans le dos et que pour une fois, on aimerait bien tirer un peu au largue pour taquiner le semblant de vent. Et puis la mer n’est pas d’huile évidemment, ce qui fait claquer les voiles et vibrer le gréement toutes les 5 secondes. Bref, toute ces grandes stratégies se soldent par un échec cuisant et on a beau faire ce qu’on veut il faut se résigner : il n’y a pas de vent. Mais bon an mal an, avec le courant, ça avance doucement en zigzag jusqu’au moment où se dessine une grosse tache noire à quelques milles derrière nous... Non mais on va passer à côté là… l’infaillible radar n’est pas de cet avis : ça arrive droit sur nous dans peu de temps. Résultat des courses : on tombe en 2 minutes ce qu’on a réglé en 1 heure de tâtonnements et, comme des couillons, on enfile vite les cirés dans l’éphémère pétole, debout dans le cockpit, puis le vent monte presque instantanément et on se prend une saucée du diable. C’est ingrat.
Eole, si jamais tu tombes sur ce blog, on est pas difficile, donne nous de vrais alizés entre 15 et 20 nœuds sans rafale si possible ;)

Sinon on y croit ! On y arrivera aux Antilles ! A ce propos, depuis hier soir on attaque la deuxième moitié du trajet. Il reste à parcourir 993 milles.

Position : 15,11,44 N - 045,04,58 O ; Cap magnétique : 278° ; Vitesse moyenne : 3 nœuds

PS : Merci pour tous vos messages reçus sur l’Iridium. Pierre P, le tiens m’a fait particulièrement chaud au cœur.



14 décembre 2008

Destination Antilles : J+8,5

Finies les grosses flèches rouges à 3 barres des fichiers GRIB ! Depuis 21h00 le vent s'est stabilisé autour des 20 nœuds et nous pousse à une moyenne de 6 nœuds, quasiment tout droit vers les Antilles. Les prévisions météo pour les 3 prochains jours confirment la tendance avec des alizés qui mollissent progressivement. Vous n'imaginez pas le bonheur que c'est de ne plus être dans un bouchon ! Ce soir j'ai même donné du creux au tourmentin en attendant qu'il soit replacé par son cousin le vieux foc ! La grosse houle persiste et les crêtes se détachent toujours mais c'est sans comparaison avec les dernières 48h. Le sifflement dans les câbles ne s'entend plus que par intermittence.
Bon... ça roule dur et on part encore souvent de travers mais alors là, je m'en moque, je suis bien, le bateau avance dans une position qu'on connait et il sait profiter du vent. On a commencé à se réorganiser : ranger un peu tout ce souk, faire la vaisselle et balancer le thon qui pourrissait au fond du cockpit. Aude a tiré un long sandow dans le carré sur lequel nos linges sèchent. Mon voyant batterie m'indique que je ne suis pas à bloque ! L'éolienne aurait ralenti ? Mais oui ! Trop bon ! Grégal is back ! Je m'en vais de ce pas m'ouvrir une bonne bière pendant que mon pote le pilote, lui, reprend du service !

13 décembre 2008

Destination Antilles : J+8 : Grains

Certains disent qu'une traversée de l'Atlantique est une partie de plaisir. D'autres disent qu'une éolienne n'a pas d'utilité quand on se fait pousser par les alizés : ces gens ont tort. Ces trois derniers jours ont été rudes, les éléments se sont réveillés avec une violence qui nous rappelle bien où nous sommes. Jeudi soir, le ciel s'est d'abord transformé, passant du bleu au gris, chargé d'inquiétantes masses nuageuses noires. J'ai senti que la soirée n'allait pas être une partie de plaisir. J'ai pris le premier quart, comme d'habitude, mais quand Aude s'est réveillée je lui ai dit que je préférais rester pour barrer, craignant que le temps se gâte. Et j'ai bien fait. Peu après la mer a commencé a "bouillonner", devenant forte avec des ronds d'écume blanche en surface. Puis c'est le vent qui a fraîchi pour s'établir en grand frais, ce qui ne signifie pas grand chose car nous subissions principalement des rafales, atteignant allègrement les 40 nœuds. Les grains ont pris place, certains avec une telle force que le moindre bout de toile risquait de tout fracasser en moins d'une seconde d'inattention. Nous étions encore sous voiles jumelles (foc + génois tangonnés) et même réduite au minimum cette configuration m'inquiétait, au vu du vent qui montait sans cesse au son du sifflement strident de l'éolienne. Je me suis concentré comme jamais à la barre. Aude m'a rejoint vers 2 heures du matin, mais je n'ai pu aller me coucher que plus tard dans la nuit, une fois le pire passé. On s'est fait surprendre une fois, mais pas deux. Hier (vendredi), rebelote. Un centre de dépression nous a rejoint, véritable zone de non droit où le vent s'arrête, puis tourne dans une direction, puis dans une autre, c'est l'anarchie totale, un guet-apens où un calme soudain, répit d'une dizaine de minutes, est aussitôt remplacé par la pluie accompagnée de rafales. Dans ces conditions, toute tentative de tenir un cap est impossible, seuls la fuite (= se faire pousser quelque soit la direction du vent) ou la cape (= position de sécurité qui permet, et mettant les voiles à contre, de s'arrêter en se laissant lentement dériver) sont envisageables. Cela dit, la fuite a pour elle de nous pousser vers les Antilles, et ça a été notre choix. Après avoir essuyé des grains toute la journée, tous les deux attachés dans le cockpit en cirés-gilets-harnais, on ne faisait pas les malins. En fin d'après-midi on a décidé d'envoyer le tourmentin pour remplacer le foc, ce qui nous donnait plus de marge de sécurité si le vent venait à forcir.

Aujourd'hui, la mer est très forte. Cette mer qu'on ne peut voir que sur l'océan, avec des creux de plus de 6 mètres, transformant instantanément notre petit bateau, pourtant si fier avant hier avec son grand spi, en bouchon sur l'eau. Par contre, les grains se sont tassés et le vent semble mollir, mais c'est encore trop tôt pour hisser à nouveau le foc, toujours à cause des rafales sournoises. Nous prenons la barre aussi souvent que possible car nous ne pouvons accepter la moindre erreur de la part du pilote (qui cela dit s'en sort magistralement, même s'il fait énormément rouler le bateau en essayant de compenser les vagues, il ne nous a pas fait de mauvaise surprise !), qui lui ne peut imiter la souplesse de la main humaine qui est irremplaçable dans ces conditions. A ce propos, Aude sait désormais barrer avec une grande finesse, amortissant comme il se doit chaque embardée, les yeux dans le dos pour s'assurer que les déferlantes s'engagent dans l'axe. Et tout ça en quelques heures seulement pour un baptême du gros temps : il faut croire que certaines conditions météo favorisent un apprentissage express ! Pour compenser la fatigue, nous avons établi des quarts toutes les deux heures, même en journée, ce qui nous permet de rester dans de bonnes conditions physiques, même si le tangage sur les énormes vagues nous réduit à opter pour des menus basiques : pâtes au beurre / patates à la vapeur, biscuits et chocolat.

Ce soir, un coin de ciel bleu nous a fait oublier notre fatigue et nous a remonté le moral qui en avait pris un coup avec ces enchaînements de grains. Nous prenons la météo tous les jours avec l'Iridium (fichiers Grib) et on dirait qu'elle va être plus favorable à partir de demain. Nous attendons avec hâte le retour des alizés cléments et du ciel bleu. Notre position actuelle (13 décembre 19h10 GMT) est : 15°38.2851 N, 040°42.2900 W : merci Fanny de nous avoir demandé de l'écrire en toutes lettres, car quand on fait afficher notre position sur google map, la position GPS est lisible mais uniquement dans le code source de la page ! Cette erreur est maintenant corrigée pour que vous ayez les infos précises. Notre cap magnétique est env. 305°, on avance à env. 5 nœuds, on est un peu poussés au nord par le vent qui tourne sud-est mais il y a de fortes chances qu'on hisse demain matin la grand voile sur 3 ris avec le tourmentin pour redescendre au sud, plus sur notre cap. Il reste 1240 milles à parcourir.

Bon, vous faites pas de bile on a la situation en main et on vous tient au courant !

NB : Félicitations Cécile pour ta convoc en Russie !!! Est-ce que c'est forcément signe d'une issue favorable ? En tout cas on l'espère de tout cœur pour toi !



11 décembre 2008

Destination Antilles : J+6

La Providence sait mieux que personne souffler le chaud et le froid. Ainsi hier avons-nous eu une magnifique journée. Malgré le peu de vent qui sévissait toujours, nous avons pu couper le moteur en début de matinée et envoyer le spi léger. Profitant de manière optimale de la toute petite brise, nous avancions tout de même à 4,5 nœuds en moyenne (pas mal avec seulement 4 nœuds de vent !). La mer était belle et, reposés par tant de douceur de vivre (des crêpes à midi, une sieste à l’ombre l’après-midi et un ti-punch Cap-Verdien à l’apéro), nous nous disions qu’une transat’, c’est que du bonheur et de la tranquillité. Erreur !

Aujourd’hui l’ordre des choses s’est inversé. Cela a commencé pour moi par une mauvaise nuit à lutter contre la fatigue pendant mes quarts, puis ça a continué le matin : alors que Tom dormait, le pilote s’est mis à bugger (comme il le fait souvent : il bipe, s’arrête, et le bateau va alors où bon lui semble). En principe, on l’éteint et on le rallume et ça repart. Sauf que sous spi, pas possible de s’en sortir si on ne se précipite pas sur la barre de suite. Or, le temps de latence que j’avais utilisé pour tenter de rallumer le pilote a été fatal : le spi s’est enroulé autour de l’étai. Tom a été réveillé en sursaut et on a mis plus d’une heure à le démêler puis à le renvoyer. Deuxième pépin : c’est à ce moment-là qu’on s’est aperçu qu’on avait  perdu le sac à spi (c’est moi qui avait envoyé le spi et j’avais omis de récupérer le sac, (mal) attaché au balcon avant !), ce qui m’a inspiré une comptine qui s’intitule « J’ai perdu le sac à spi » :

J’ai perdu le sac à spi

J’ai perdu le sac à spi
Il était mal accroché
J’ai perdu le sac à spi
Je me suis fait engueuler.

Au moment de ramener
Le spi bleu tout enroulé
Devant autour de l’étai
Le sac s’était envolé !

J’ai dit « J’en fabriquerai
Un nouveau tout coloré »
Le capitaine m’a jeté
Un regard très courroucé :

Il a dit « Faut réviser
Les nœuds ça peut pas durer »
J’ai perdu le sac à spi
Et j’en suis bien désolée !

Enfin, cet après-midi, nous décidons d’empanner sous spi, car notre cap dérive trop vers le nord. Etait-ce la fatigue ? Nous foirons la manœuvre, et nous trouvons contraints de rentrer le spi un peu n’importe comment en l’enfournant par le hublot, faute de sac. Le capitaine est hors de lui (je suis persuadé que son quart de sommeil matinal écourté y est pour quelque chose). Il hurle (pour de vrai !!! :) en pestant contre ce maudit bateau et accessoirement, contre son Number One, seul témoin de notre infortune. Finalement, nous envoyons les deux voiles d’avant. Le vent a forci entre-temps (il est d’environ 15-20 nœuds de secteur Est en cette fin d’après-midi) et c’est mieux comme ça, on peut voir venir la nuit tranquille. On suit toujours notre cap 281°W. L’estomac creux depuis le matin, une bonne assiette de spaghettis olio et aglio nous retape le moral. Le capitaine retrouve sa sérénité. Il se prend même d’affection pour ma comptine qu’il recopie lui-même consciencieusement sur l’ordi. Comme quoi, mes stratagèmes de subversion sont imparables :) Le capitaine est toutefois inquiet, qu’avec mes idioties, je lui taille sur le blog une réputation de gougnafier. Du coup, il promet de ne plus s’emporter.

Moralité : en transat’, même une fois les quarts bien établis et la routine de bord en place, ne pas sous-estimer la sensation de fatigue : elle est belle et bien présente et, même paraissant endormie, elle ressurgit avec d’autant plus de véhémence dès que quelque manœuvre se met à mal tourner. Nous en prenons bonne note en décidant de faire au moins une courte sieste chacun chaque après-midi.


9 décembre 2008

Destination Antilles : J+4 (Jeu de massacre)

J'ai essayé de tenir bon. Le plus longtemps possible. Mais là, j'avais atteint un point de non retour. Il fallait que je mange quelque chose. N'importe quoi eût pu contenter la faim qui réduisait mon estomac à une misérable outre flétrie. 3 heures du matin, l'heure du crime. La nuit océanique et silencieuse est baignée d'un pâle lueur lunaire. Pas un vol plané de poisson pour venir troubler le clapotis de l'étrave fendant les flots noirs. Je descends dans la cabine à pas feutrés. Le faisceau de ma lampe frontale blanchit le bois. Une chance : le roulis qui fait grincer la coque et s'entrechoquer les objets masque le bruit de mes pas. Avec une avidité non dissimulée, je soulève le coussin de la banquette qui renferme le garde-manger. Un festival d'aliments en conserve se dévoile alors devant mes yeux fatigués. Il me faut choisir une denrée qui puisse s'avaler sans cuisson. Surtout, ne pas faire de bruit. Je sais ! Des sardines ! C'est tout ce qu'il me faut. Sous les boîtes rondes, j'aperçois, tout au fond, la salvatrice lueur d'une barquette métallique à languette. Mes mains écartent les boîtes sur le côté pour atteindre mon but, mais le sournois tangage les rabat sans pitié à leur place initiale. Les sardines ne sont plus qu'à quelques centimètres. Il me faut juste soulever cette boîte de bouletas espagnoles, et le tour est joué. Je pose la-dite boîte sur la banquette et me précipite sur la barquette argentée.

C'eût été trop facile : le bateau avait décidé de jouer contre moi. D'une violente embardée provoquée par quelque déferlante imaginaire, le pernicieux navire penche de tout son poids sur bâbord. La boîte de bouletas vole dans les airs pour venir s'écraser sur le plancher et continuer sa course en une molle glissade de gauche à droite, avec le roulis, frappant les boiseries dans un tintamarre très perceptible. Horrifiée, je suis figée par la honte, ma boîte de sardines à la main, quand retentit un puissant et enroué "C'est quoi ce bordel ??!". Le capitaine a été réveillé. Blasphème. Il me fixe furieusement de sa face fripée sur laquelle se dessinent encore les plis de l'oreiller. Immobile, je tente de prendre un air dégagé : "Mais rien du tout...", puis, inexplicablement, je cours moi-même à ma perte, pétrifiée par l'œil torve et le sourcil dubitatif du Grand Timonier. J'ajoute, bredouillante : "C'est pas moi, c'est la boîte de bouletas !". "- Mais qu'est-ce qu'elle vient foutre là cette XXX de boîte !!!" hurle le capitaine. "- Aucune idée", ais-je la force de répliquer, stoïque. Pour mon salut, l'épisode se clôt sur un bredouillement inintelligible du capitaine broussailleux qui se retourne sur sa couchette en maugréant dans sa barbe. Je suis sauvée, mais il me faut quelques instants pour calmer les palpitations de mon cœur affolé.

A la lueur de ma lampe frontale, mon trésor brille. Je dégoupille la languette avec mille précautions et un ravissement extrême. Les sardines sont là, luisantes et moelleuses à souhait. Je n'en fais qu'une bouchée. Souriante et repue, je m'adosse à la banquette avec satisfaction. Mais soudain, l'atroce sensation de faim remonte de l'abîme de ma panse à demi rassasiée. Il me faut une deuxième barquette. Avec la lenteur d'un équilibriste neurasthénique, je soulève à nouveau la banquette. Pas de boîte de sardines en vue. Mon anxiété croît. Les filets moelleux et juteux se mettent à danser devant mes yeux. J'entreprends alors d'ôter une à une les conserves qui me barrent la route. Je les empile sur la banquette avec d'autant plus de fébrilité qu'elles paraissent toujours plus nombreuses, obstruant le fond de la cale. Enfin ! J'aperçois tout en bas une lueur argentée. J'y suis presque. Plus que cette grosse boîte de couscous...

C'est alors que le bateau, punissant mon avidité, se met à tanguer furieusement comme un cheval fou. Je n'ai rien le temps de faire. La pile de conserves s'envole et s'en va se fracasser avec violence en divers point de la cabine, dans un savant jeu de massacre. Le bruit du roulis ne suffit pas à masquer le vacarme assourdissant. Mon heure a sonné. De l'obscurité de la cabine avant s'élève un monstrueux "Nom de nom de nom de...". Le capitaine surgit, hirsute. "Mais tu te fous de ma gueule ! C'est quoi ce bordel ! Y'a pas eu de cyclone ici à ce que je sache, non ? Puisque c'est comme ça, que tu te joues de moi, matelot, tu veilleras encore le prochain quart !!!". Mes yeux rougis se perdent alors, pleins de honte, au fond de la cale où brille pourtant le coin d'une barquette...


NB : Vous l'aurez deviné, cette fiction n'est qu'issue du cerveau fatigué d'un Number One en plein quart de nuit. Le capitaine est en réalité un monstre de délicatesse (seule la tignasse est vraie) qui me réveille toujours en douceur et fait durer ses quarts un peu plus pour prolonger mon repos... Mais que voulez-vous, les mythes ont la vie dure !

NB 2 : Aujourd'hui, 9 décembre, pétole pour les 3/4 de la journée. On a dû finir par allumer le moteur. Cagnasse écrasante et douches à l'eau de mer pour se rafraîchir. Petit rangement du bateau et dépatouillage avec la manche à air qui refuse de nous envoyer un petit filet de brise par le hublot. Excellent moral de l'équipage. Dîner avancé imminent.



Destination Antilles : J+4 (Transat' sans chaise longue)

Nous sommes lundi 8 décembre, il est 20 heures GMT, je vais me coucher pour que Tom puisse commencer son premier quart de 4 heures sans avoir à veiller trop tard. Bien que le soleil soit couché, l'air ambiant et encore lourd et tiède, résidu nocturne de la chaleur qui sévit en journée. Depuis notre couchette dans le triangle à l'avant du bateau, on aperçoit un bout de ciel par le hublot, si l'une des voiles d'avant jumelles faseille sous la brise. J'aime beaucoup sentir ce petit vent sur mon visage alors que je suis confortablement installée sous la couette, il me donne l'impression de bivouaquer en plein air. Je mets un peu de temps à trouver le sommeil car nous avons changé depuis peu l'ordre des quarts. A minuit, le changement de quart est rapide : Tom est crevé (c'est lui qui d'habitude dormait en premier). De toutes manières, nous faisons habituellement un point météo à 18 heures pour vérifier la direction de l'alizé, et lors du premier quart, Tom procède aux réglages de voiles nécessaires pour une grande partie de la nuit si tout va bien. Nous conservons la configuration voiles d'avant doublement tangonnées : le "vieux foc à ris" est endraillé sur l'étai largable, et malgré son aspect jauni et ses nombreuses tâches de rouille, il remplit très bien son office. Depuis hier, nous sommes passés d'un grand largue tribord amure (vent qui arrive derrière par la droite) à un bon vent arrière. Tom m'a expliqué comment il ajustait les tangons pour la journée, et pour la nuit. C'est dingue comme moi je peux être oisive
l'après-midi, siestant ou somnolant sur les banquettes pendant que la vigilance du capitaine ne faiblit jamais, et qu'il règle en permanence le bateau pour assurer sa bonne marche.

Donc, le jour, les tangons sont légèrement abaissés en choquant le hale-haut (ficelle qui les tient vers le haut), pour permettre au creux de la voile de mieux se former et donc de mieux recevoir le vent. Cela est possible uniquement parce que la visibilité diurne prévient d'un "plantage" intempestif du tangon dans l'eau sous l'effet d'une vague, qui, à coup sûr, résulterait en un arrachage sans appel. La nuit, nous relevons les tangons (qui sont d'ailleurs positionnés bien haut sur le mât à cet effet) pour s'assurer une marge d'au moins 2 mètres au dessus de l'eau. Ainsi, même si la noirceur de la nuit nous empêche d'estimer la hauteur réelle entre le niveau de la mer et le bout du tangon, nous évitons tout accrochage.

Il est donc minuit et la nuit est incroyablement claire. La lune montante qui nous accompagne donne à toute chose une lueur laiteuse, et l'on distingue parfaitement les éléments du cockpit, tout comme les nuages du ciel. De ce fait, il y a par contre peu d'étoiles visibles, et mon apprentissage des constellations progresse peu : il se borne toujours à repérer Pégase (que l'on ne voit plus) et Orion, qui se dresse soit côté bâbord (cap légèrement sud-ouest) soit au dessus de nous (cap plein ouest). Grégal file doucement sur l'eau en faisant claquer ses voiles par intermittence, faute de vent. La nuit, l'alizé tombe pour réapparaître généralement au lever du jour. Réduit dans sa propulsion, Grégal roule maladroitement sur la petite houle résiduelle (en journée, la houle est beaucoup plus formée) mais l'on s'habitue bon an mal an à ce tangage peu confortable (à moins d'être confortablement allongé et qu'on se laisse bercer, mais ça c'est bon pour la journée uniquement !). Dès que l'on a un verre en main ou un bol de soupe, il faut se transformer en cardan sur pattes pour empêcher les liquides de fuir de leur contenant. Cela nécessite de maîtriser la "danse du roulis" où, les deux pieds bien ancrés sur le plancher, on oscille le haut du corps de droite et de gauche pour compenser les mouvements de la coque, sans quoi on se fait surprendre et au mieux, si on est chanceux, on se retrouve projeté sur une banquette ou contre un meuble en reversant son café par terre ou (si on a la guigne), sur soi.

Aujourd'hui, Tom a bricolé une "chaise de quart" avec l'un des morceaux de filet de pêche qu'il nous restait (le même filet qui nous a servi à confectionner les filets à fruits et légumes du carré et les filets à livres dans le triangle). C'est en fait fort pratique lorsque l'on est installé à notre place de quart favorite : assis en haut de la descente, les pieds sur l'échelle, et le regard qui porte au loin en passant au-dessus du rouf et sous les voiles d'avant. Calé dans notre dos, le filet-chaise tient un peu du hamac et permet de s'appuyer confortablement en arrière, ce qui soulage passablement le dos et les cervicales qui étaient mis à rude épreuve dans la position assise voûtée (qui plus est quand on tient cette position pendant 4 heures d'affilée). On peut même accrocher notre harnais à la ligne de vie en faisant passer la longe par dessous, le luxe. La lune se couche vers la fin de mon premier quart (sur le coup des 3 heures 1/2), plongeant le bateau dans
l'immensité noire de l'océan Atlantique. Mais finalement, à bord, on ressent peu cette immensité (si ce n'est par l'égrenage des jours de traversée !) et la veille de quart est la même - ou presque - que pour une traversée Marseille-Calvi. Les heures sont parfois longues à tuer mais si l'on est pas trop fatigué, on a tout le loisir de lire, écrire, ou réfléchir au menu du lendemain, alors que si on a le malheur d'être sommeilleux, on n'a d'autre choix que de fixer l'horizon en rêvassant et
en attendant que le temps passe... Dure dure la vie de marin !

8 décembre 2008

Destination Antilles : J+3

Depuis hier le ciel est presque tout bleu, quelques cumulus, bonne visibilité, petite houle croisée pas trop gênante. La température est plus élevée qu’en plein été au sud de la Corse, il fait même trop chaud maintenant ! Bon par contre le vent est resté assez faible (env. 10/15 nœuds) jusqu’à ce soir (15/20 nœuds) ENE. On s’est donc un peu traîné à env. 4/5 nœuds ces dernières 48h et on a pas trouvé la motivation de lancer le spi. Shame. Ouais, on préfère larver au soleil (ou plutôt à l’ombre) avant et après (voire pendant) le passage de la méridienne.
Côté route on descend un peu plus au sud, on rectifiera si le vent le permet facilement sinon on le fera à quelques centaines de milles du point d’arrivée prévu : St George Harbour (Grenade).
Les nouveautés :
  • Désormais on fait des quarts de 2x4h chacun au lieu des 2*3h + 1*2h. On se voit plus souvent la journée !
  • Un voilier français est passé à 50m hier soir, on a tchatché 5min à la VHF, c’était sympa et un peu surréaliste dans ce contexte.
  • On voit en général une 10aine d’oiseaux par jour et des poissons volants par centaines.
  • Aude prépare des plats délicieux tous les jours et un pain tous les 2 jours pour mon plus grand plaisir.
  • La ligne de pêche reste sur sa canne pour l’instant. On a encore 8 kilos de thon en train de mariner dans un seau remplit de saumure au fond du cockpit !
  • Je prends mes douches à l’eau de mer. Finalement c’est bien mieux, on peut utiliser autant d’eau que l’on souhaite :)


6 décembre 2008

Destination Antilles : J+1

Un peu anxieux mais surtout excités à l’idée de traverser l’Atlantique, l’ancre a été levée hier en fin de matinée du mouillage en face de Mindelo.
Hier donc : ciel brumeux, visibilité mauvaise, vent 15 nœuds ENE, mer PA. A 18h le vent tombe pour virer subitement NO 15 nœuds. Content d’avoir passé une bonne partie de la matinée à tout préparer pour 20 jours de grand largue, on repasse ds une config de près bon plein... A 03h00 le vent à progressivement reprit un secteur ENE à 10 nœuds, tangonnage du génois, voiles en ciseaux jusqu’au petit matin ou on revient sur 2 tangons. Ce matin visi. un peu meilleure, vent constant mais tjrs faible, légère houle NE. Les premiers 48h sont comme d’habitude difficiles, le temps de prendre le rythme. Aude s’est bien amarinée même si le couscous de hier soir n’est pas resté bien lgt ds son estomac. Pour l’instant on essaie de tenir cap 267° (Grenada) même si nous n’avons pas encore vraiment choisi le point d’arrivé : on commence à peine la lecture de « Martinique to Trinidad » (D.M. Street JR). Cool, il nous reste au moins 2 semaines ;)
Le prototype de régulateur d’allure basé sur la tension aux écoutes a cassé après moins de 2 minutes d’utilisation. Mais je ne désespère pas, dès que j’aurai plus d’énergie (demain) je repartirai sur qqchose de plus simple et de plus solide tout en essayant d’épargner la table de cockpit (j’ai plus bcp de bois).