En une semaine, nous n'avons eu que très peu de temps morts dans notre nouvelle vie, ce qui semble être un bon dérivatif pour ne pas trop penser à feu-notre-belle-vie-de-bohème... Alors, que peut-on apprécier, de retour sur la terre ferme, me direz-vous ? Bien sûr, il y a eu les retrouvailles avec les proches. Bien sûr, il y a eu la joie du confort moderne, avec salle de bain, télé, Internet à la maison, frigo. Mais c'est comme si un petit quelque chose n'était pas tout à fait comme avant.
D'abord, quand on ouvre le robinet, on ne l'ouvre pas en grand, comme si toute cette eau qui s'échappe au rebut nous faisait un petit coup au cœur. Aujourd'hui, on ne cherche plus la pompe d'eau de mer du pied mais on se dit qu'il est bien dommage d'utiliser de l'eau de premier choix pour bien des taches ménagères. Ensuite, autre attrait incontournable de la vie "facile" : le frigo. Après l'avoir branché nous avons observé, ébahis, la formation d'une mince couche de givre dans le compartiment congélateur. Puis nous avons entrepris de le remplir. Alors que notre caddie nous paraîssait empli de denrées fraîches, quand on les a disposées dans le frigo, il restait encore un maximum de place. Phénomène inexplicable au demeurant car il est bien connu que chez tout ménage moyen, le frigo manque toujours de place. Ensuite nous avons dû, et c'est peut-être ce qui a été le plus délicat, augmenter notre vitesse moyenne de fonctionnement. En bateau, au fil des mois, nous étions devenus lents. Très lents. Très calmes. Sans vraiment s'en rendre compte. De retour dans la civilisation, les gens autour de nous nous ont paru très rapides. A l'hypermarché, nous avons été pris de vitesse. L'impression d'être catapultés dans une fourmilière. Pour autant, nous ne nous sommes pas départis de notre flegme. Nous avons survécu à l'épreuve avec brio. Pas même une migraine en sortant. Idem en ville. Les soldes : vous imaginez la frénésie dans la ruche ! On y a survécu aussi. Quel talent.
Finalement ce qui nous marque le plus, dans la "vie facile", c'est de ne plus rien à avoir à surveiller, en tout cas rien qui ne soit directement lié à notre survie. Pas d'inquiétude sur l'approvisionnement en eau ou en énergie, pas d'angoisse sur la sécurité de notre habitation, pas de nécessité de prendre la météo à chaque déplacement, pas d'inquiétude de disparaître en mer sur le coup d'une mauvaise chute, pas d'obligation de veille à un mille à la ronde ni d'écoute permanente des bruits qui nous entourent. En fait, la "vie facile" est une vie dépourvue de tout danger potentiel. C'est sans doute ça qui rend les gens plus désœuvrés qu'ils ne le seraient dans une vie plus "sauvage". N'avoir à se préoccuper de rien qui soit en lien direct avec sa survie. Reporter donc l'inexistence du danger sur des externalités non indispensables : le boulot, la crise, l'inflation, les impôts, le gouvernement... Serait-ce là la secrète origine des dépressions et autres stress chroniques ?
En tout cas, notre vie de (presque) bons sauvages en mer, toute dangereuse et compliquée qu'elle fût, nous a insufflé, en un an de vie, un flegme inouï. Un calme intérieur inébranlable. Mieux que 15 jours de méditation chez les moines. Plus aucun petit pincement au cœur d'angoisse, plus aucune pensée noire non indispensable, plus aucune rumination stérile. Nous sommes zen. Pour vous donner une échelle, multipliez par cent le "bénéfice" que vous procurent 3 bonnes semaines de vacances estivales. La question qui demeure est : combien de temps allons-nous le rester ? Combien de temps va-t-il falloir à la société pour nous avaler à nouveau dans son tourbillon ?