C’est un flamboyant coucher de soleil qui nous a accueillis à l’approche de l’île de Sao Vicente. La lumière totalement irréelle nous donnait l’impression d’être éclairés par des spots électriques oranges !
Le lendemain de notre arrivée, nous avons pris le chemin de la Police Maritime, qui se trouve à l’est de la marina de Mindelo, dans un long bâtiment administratif défraîchi au crépi jaunâtre. Un grand malabar souriant dans son uniforme nous a fait remplir les formulaires d’entrée sur le territoire et relatifs au bateau. Il a gardé notre Titre de navigation, et comme le précise le règlement qu’il nous distribue, les papiers nous seront restitués au paiement d’une "petite taxe " (entre 1500 et 5000 escudos soit entre 15 et 50 euros) 24 heures avant notre départ. Puis nous longeons la plage, sur laquelle poussent de jolis arbres verts et trapus, pour nous rendre au bureau de l’immigration (labellisé « emigration office » sur la porte). Parfois je me plains de la monotonie des couloirs et des bureaux de l’administration dans laquelle je travaille mais là, l’officier qui nous reçoit est plus à plaindre. Son bureau fait moins de 8 mètres carrés, avec pour tout accessoire en dehors de la table et de la chaise, un téléphone et une machine à écrire. En tout cas, il parle français, nous tamponne nos passeports avec solennité et nous salue : l’opération aura duré moins de 5 minutes.
Le mouillage où nous sommes jouxte les pontons de la marina qui, agrandie depuis peu, permet d’accueillir plus d’une centaine de bateaux. Elle est très proprette, et il y a l’électricité et l’eau (sous réserve de payer les litres consommés) aux pontons. Les employés parlent anglais et français. Il y a aussi un petit « parc à dinghies », où l’on peut laisser l’annexe en sécurité, mais moyennant la somme de 3 euros par jour. La marina est sur pilotis et elle est reliée à la terre par une passerelle avec un portail grillagé. Au paiement de la place de port ou des 3 euros du dinghy, on nous donne un petit pass électronique qui ouvre le portail. Le pass se périme en fin de journée, et il faut repayer pour en obtenir un autre le lendemain. Ingénieux moyen de s’assurer que tout le monde s’acquitte bien de son dû pour pouvoir sortir du port. Gage de sécurité également, répondront certains… On a bien fait la connaissance d’Umberto, un gars du coin qui parle couramment français et qui nous proposait de garder notre annexe amarrée à un pilier de bois sur la plage « en la surveillant continuellement », pour 3 euros à débattre, mais
personne n’ayant encore fait affaire avec lui (son pilier de bois est toujours vide), nous optons pour l’option de la marina.
Mindelo a des airs de Brésil avec toute la langueur et la quiétude que confèrent le statut insulaire de petit archipel. Nos premiers pas dans la ville nous ont poussé, sous le soleil et la chaleur, dans les rues principales où les bâtiments aux façades joliment peintes de couleurs vives rappellent l’ancien temps de domination portugaise (NB : le Cap Vert a gagné son indépendance en 1975). Ceci me fait penser à une anecdote vécue peu de temps après notre arrivée au mouillage. Autour de nous, une majorité de pavillons français, quelques allemands, des suisses, des canadiens et… de américains. En l’occurrence, deux superbes catamarans scrupuleusement astiqués la journée comme s’il s’agissait de rutilants 4X4. Bribe de conversation saisie au vol entre les deux bateaux (je n’entends que celui qui est au vent). « Really ??? Man, I don’t have that one ! ». Le « that » concerne le pavillon du Cap Vert. C’est un joli drapeau bleu foncé sur lequel sont matérialisées dix étoiles symbolisant les dix îles de l’archipel, avec une bande rouge en arrière plan. L’américain en question avait hissé, en guise de pavillon de courtoisie… le drapeau du Portugal ! Après tout, ici, on parle portugais, non ? J’imagine tout à fait, au Maroc, hisser le pavillon français en guise de drapeau national : une boulette qui aurait été du plus bel effet ! Heureusement ici, les gens sont incroyablement détendus.
A Mindelo nous avons trouvé des petits cafés et bars locaux, le plus souvent meublés formica-plastique rouge que bois peint et photos locales encadrées, dans lesquels les gens sirotent la bière d’ici, la Strela, qui vous coûtera entre 1 et 1 euro cinquante, en mangeant des petits accras aux formes diverses, tous délicieux (2 euros la douzaine). Dans la rue, les femmes vendent des fruits (papayes et bananes) ou des fines herbes (coriandre, persil) dans de grosses bassines en plastique qu’elles portent sur la tête. Les vieux discutent assis à l’ombre des arbres des places. Il y a bien quelques vendeurs ambulants qui proposent aux touristes le fameux tryptique babioles-lunettes-t-shirts mais ils sont si peu insistants qu’ils en deviennent immédiatement sympatiques : d’emblée, le dialogue s’installe, ponctué de francs sourires et de tapes dans le dos, même si on a précisé qu’on n’achèterait rien aujourd’hui. Une rareté, cette chaleur et cette propension à communiquer des habitants qui sont d’une gentillesse désarmante. Au marché, les vendeuses s’appliquent à détailler d’où viennent les oranges et les fromages, même si on s’adresse à elles en espagnol… Au café, la serveuse vous apprend les rudiments du créole local, pour dire « merci » ou « au revoir ». Il y a beaucoup de locaux qui parlent très bien le français. J’ai lu que la présence de l’Alliance Française à Mindelo était un relais efficace de la francophonie et qu’il n’y a pas si longtemps, le français était la première langue étrangère obligatoire à l’école (aujourd’hui les jeunes choisissent aussi l’anglais).
Ici la vie s’anime apparemment en fin de semaine avec concerts divers de cette enivrante musique endémique qu’on a tous entendu à travers la célébrissime Cesaria Evora locale. On peut notamment entendre de la musique live le dimanche soir au « Clube Nautico », le bar des plaisanciers (plutôt que des marins) qui est en face de la marina. L’endroit est super accueillant, avec de solides tables en bois, des fresques et des sculptures plein les murs, des photos immortalisant la prise d’un énorme marlin de près de 3 mètres, une vieille voile tendue au plafond.
Sur le bord de mer il y a le marché aux poissons. Il se trouve dans une grande tour en pierre d’époque. A l’intérieur, un brouhaha et une forte odeur. Très peu de touristes viennent ici, on dirait. Donc en franchissant les marches, on est alpagués par tous les vendeurs. J’ai récemment découvert un site fabuleux « mindelo.info », en français, qui donne une foule de renseignements sur la ville et aussi propose un guide complet d’initiation au créole local, le Crioulo. J’ai appris les rudiments, ce qui me facilite grandement la tâche pour négocier les prix. Les gens me demandent si j’habite ici ! J’ai lu que le marché est approvisionné deux fois par jour par les pêcheurs : le matin à 8 heures et l’après-midi vers 16 heures. La première fois, j’y suis allée à 16 heures et j’ai acheté deux soles et un gros pageot très frais (c'est-à-dire, ouïes bien rouges, corps dur comme du bois qui tient tout droit à l’horizontal quand il est tenu au bout de la main) pour 1,50 euros le tout. On s’est régalés le soir avec les soles en panures et le pageot au four avec une farce à la coriandre. Ce qui est pratique, c’est que des jeunes gars, une fois l’affaire conclue avec le vendeur, vous proposent de les vider moyennant quelques dizaines d’escudos. Aujourd’hui, j’y suis allée le matin à 10h30. Les poissons me semblaient un peu moins frais, donc plus mous. J’ai pris quand même deux simili-dorades et deux soles. Arrivée au bateau, j’ai humé le sac : le temps du trajet, les poissons se sont mis à sentir fort et j’ai dû les jeter… Demain j’irai à l’ouverture pour être sûre d’avoir la pêche la plus fraîche !
Voilà donc les premières impressions de cette ville qui nous ravit. C’aurait été vraiment dommage de faire l’impasse sur le Cap Vert pour lequel on a un réel coup de cœur. Reste à découvrir les montagnes, les restos du coin, les flâneries dans les rues… Que du bonheur !