30 juin 2009

Transat retour Açores - Gibraltar : J+2

Les bruits qui nous entourent et qui constituent notre petit univers de vie en bateau en mer sont bien différents de ceux que l'on perçoit communément dans le monde de la civilisation. Tout d'abord, ils sont beaucoup moins nombreux, donc moins confus et plus aisément identifiables. En mer, la nuit, c'est à l'oreille que le marin se dirige. Dans l'obscurité, chaque son prend sens et se prolonge soit par un sentiment d'apaisement, soit d'inquiétude. Car les oreilles du marin sont toujours en alerte, la nuit plus que jamais. Une infime variation du chant du vent dans les voiles ou un claquement impromptu sauront instantanément lui indiquer, avant même qu'il ait pu voir quoi que ce soit, qu'un changement s'est produit. Et par conséquent, qu'il faut, sinon intervenir, du moins contrôler.
Mais quels sont ces bruits que nous percevons la nuit en mer ?
Tout d'abord, il est plus commode d'entendre quand on est préservé du vacarme toussotant du moteur en marche. Quand le bateau navigue sous voiles, voici ce que l'on entend.

En premier plan, net et précis, il y a le bruit sec et rapide d'une drisse qui claque sans interruption à l'intérieur du mât. Selon l'inclinaison du bateau et la force du vent, ce bruit peut varier. Juste après, il y a le clapot des vagues et des remous qui glissent contre la coque fendant les flots. Ce bruit glougloutant régulier s'apparente tantôt à celui d'un petit ruisseau dégringolant dans les pierres, tantôt à celui d'une vague tranquille qui viendrait mourir sur le sable d'une plage. Quand le vent fraîchit et que le bateau accélère, le remous s'intensifie jusqu'à se rapprocher de celui d'une chute d'eau. Mais par petit temps comme c'est le cas cette nuit, on n'entend que le clapot. Les vagues s'égrennent doucement sous l'étrave, sans malmener la coque en venant la frapper. Pas de heurts, rien que le glouglou.

Ensuite, du cockpit, le son qui vient immédiatement à nos oreilles est celui du pilote automatique en pleine action. Inlassablement, il tire et pousse la barre pour maintenir son cap, dans un bruit proche du roulement à bille d'une voiture télécommandée électrique. Le pilote a un bruit de robot. Un bruit de vérin métallique qui frotte et qui crisse. Puis, en fonction de la force du vent, il y a le son de l'éolienne qui tourne. Quand le vent est calme et régulier, comme ce soir, on croirait presque le bruit du vent dans les arbres, ou le froufrou d'un envol de pigeons. Quand le vent forcit, l'éolienne commence par imiter le bruit d'une autoroute lointaine, avec les voitures qui fileraient à la chaîne, puis elle monte dans les tours jusqu'à ce que le roulement caressant devienne sifflement strident. En dehors du "tac-tac", du "glouglou" et du "Rrrrr", il y a tout l'ensemble des sons d'un voilier qui navigue sous voiles. Par moment, une vague plus dure que les autres va donner un choc sourd et étouffé sous la coque. Et il y a la coque qui craque, en elle-même, ou qui se fait cage de raisonnance pour tout un ensemble d'objets qui viennent la heurter, à l'intérieur comme à l'extérieur : lampes à huiles qui s'entrechoquent imperceptiblement, lacet en perles du store qui cliquette contre le bois vernis du placard, seau posé au fond du cockpit qui glisse de quelques centimètres par moments, autres drisses qui utilisent à leur guise le mât creux comme un xylophone géant.

Dans cette petite symphonie nocturne, on dit que les capitaines sont capables de percevoir un changement de direction du vent d'à peine quelques degrés rien que par la modification du son que celui-ci fera dans les voiles. Essayez aussi un exercice fort plaisant : pendant le quart de sommeil du capitaine, prenez la barre et abattez ou lofez subrepticement de quelques degrés : vous verrez instantanément, dans les secondes qui suivent, apparaître le visage du capitaine dans l'encadrement de la descente. Ça marche à tous les coups (avec un bon capitaine). Voire même, si le pilote automatique se prend à faire des facéties de cap, vous verrez le capitaine surgir dans le cockpit alors que vous ne vous étiez encore aperçu de rien. Et vous auriez juré que dans la minute précédente, il dormait à poings fermés, tant rien ne dépassait de la couette de sa couchette !

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Un petit mot pour Chantal et sa famille : nous pensons bien à vous dans ces moments difficiles. On vous embrasse fort.

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Position à 16h50 (UT) : 36°58,52 N - 019°33,60 W
Cap Fond: 103° Magnétique
Vitesse: 6.85 nœuds (on fonce depuis 13h00 UT)
Distance parcourue dans les dernières 24h : 128 nm



29 juin 2009

Transat retour Açores - Gibraltar : J+1

Nous sommes partis hier à 13h30 de Santa Maria sous le soleil, avec un bon vent d'Ouest-Sud-Ouest qui soufflait entre 20 et 25 nœuds. Le génois seul à l'avant tangonné a bien rempli sa mission de nous tirer à plus de 6 nœuds jusqu'en milieu de nuit, au prix d'un roulis assez désagréable qui a rendu mon amarinage plus délicat. Heureusement pour moi, j'étais munie d'un remède portugais contre le mal de mer, miraculeux par grosse houle : le "Viabom". J'avais au départ cherché dans plusieurs pharmacies le fameux médicament à base de "cinarizina" (le nom de la molécule active) qu'on trouve à priori aux Canaries et au Cap Vert (remède contre les troubles de l'équilibre détourné pour le mal des transports, qui a l'avantage de ne pas être trop soporifique et qui semble être largement utilisé par les navigateurs hauturiers), sans succès. La pharmacienne m'a donc orientée vers le Viabom qui, après un passage de somnolence inéluctable dans les deux heures suivant l'absorption, a l'avantage de rester actif pendant plus de 6 heures, sans plus aucun coup de fatigue. Ça change du Mercalm (même avec caféine intégrée) qui vous colle au lit avec 2 de tension pendant des heures. Résultat : après une petite sieste dans l'après-midi, j'étais amarinée pour de bon et efficace pour les manœuvres.
Malgré toute notre bonne volonté, la houle de 3-4 mètres croisée ne nous a pas permis de beaucoup dormir pour cette première nuit et nous attaquons notre J+1 avec assez peu d'énergie. Donc pas de prouesses culinaires, pas le peps de se lancer dans de grandes manœuvres, et une idée fixe : terminer son quart pour aller dormir au chaud sous la couette. La pétole revenue, nous avançons ce matin au moteur, le temps est grisouillet et le vent ne devrait pas refaire son apparition avant cette nuit. Il n'empêche, nous sommes partis, et chaque jour sera un de plus de gagné sur le chemin du retour.
Nous avons une pensée pour les Kiss Mi qui devraient arriver aujourd'hui au port de Bourgenay après plus de 10 jours de mer (pas toujours très rigolos comme on a pu le lire entre les lignes sur leur site), ainsi qu'au spectaculaire comité d'accueil qui les attend sur l'eau comme à terre : ils l'ont bien mérité et on leur souhaite se reposer et de fêter leur retour comme il se doit !
Nous attendons aussi des nouvelles de Flo et Franck d'Austral qui devaient rejoindre la Bretagne depuis la Corogne ce weekend.
Aux dernières nouvelles, Markus notre aventurier germanique était à Terceira, escale fréquente au nord de Pico pour ceux qui remontent vers le Nord de l'Europe. De notre connaissance, il ne reste plus aux Açores que le punchy équipage de Téoula et le trio tranquille du Rose des Sables (Marie, Mathieu et leur petit gars de 7 mois). Mahi-Mahi sont toujours au Mexique à vélo en famille et devraient rentrer sous peu dans le Lot. Nos amis québécois d'Orca Minor sont quant à eux bien rentrés chez eux à Montréal et heureusement le début des températures estivales a rendu la transition météo moins rude : courage à André qui a dû réattaquer son job (merci à Gertrude de penser à mes bougainvillées : je te dirai comment je les aurais retrouvées quand on sera à la maison !)
Les chemins de traverse deviennent plus familiers à mesure que chacun regagne son bercail. Le point commun à tous ces ex-navigateurs en goguette ? Ce sont les seuls à voir des vagues à perte de vue dans le mouchoir de ciel bleu qu'ils aperçoivent par la fenêtre de leur bureau.

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Position à 17h22 (UT) : 37°01,49 N - 022°14,93 W
Cap Fond: 100° Magnétique
Vitesse: 5 nœuds



28 juin 2009

Départ de Santa Maria

On décolle dans moins d'une heure en direction de la méditerranée. La météo est assez favorable avec un début sur la queue d'une petite dépression qui devrait nous pousser pendant un peu moins de 24h par 25 nœuds sur une houle moyenne qui ne devrait pas dépasser les 5m. Pour la suite on verra, avec en prévision, des vents variables plutôt faibles. Ça devrait être bonnard les premiers jours.
La destination est incertaine : Si un vent d'ouest souffle dans le détroit de Gibraltar on tracera en remontant la côte est de l'Espagne. Sinon on fera escale à Tarifa ou bien à Tanger.

26 juin 2009

Santa Maria ou l'attente du créneau météo

La météo prise à Sao Miguel nous a confirmé il y a deux jours que si nous partions, nous allions suivre le bord de la dépression qui balaye les Açores d'Ouest en Est du 26 au 27 ce qui serait revenu à naviguer pendant au moins 3 jours au près/travers par 30-35 nœuds de vent. Autant dire, très désagréable et risqué. Donc, nous sommes descendus tranquillement à 54 milles au Sud, sur l'île de Santa Maria, petit bout de terre le plus à l'Est de l'Archipel des Açores.




Santa Maria, malgré sa toute nouvelle petite marina et ses tout nouveaux aménagements pour accueillir les ferries inter-îles (la rade n'est même pas encore terminée), fait encore figure d'enclave préservée de la plaisance de masse qui envahit Horta (mais, soyons honnêtes, qui la rend bouillonnante de vie et qui fait aussi son charme). Du port, on monte au village perché par un petit chemin de pierres. Le village est pavé de ces petits pavés carrés noirs et blancs, traditionnels des Açores, et qui prennent la forme, sur les trottoirs, soit de navires, soit de poissons, soit de coquillages...










Les petites maisons sont blanchies à la chaux, avec les encadrements de fenêtres noirs. Il y a de très jolies petites églises qui rappellent vaguement la Grèce. Tout autour, les collines pelées rappellent Lanzarote (Canaries), avec des vaches toujours, qui paissent tranquillement. Plus loin, sur les hauteurs, on retrouve les vertes forêts de conifères et les pâturages d'altitudes, sur les pentes du volcan, qui font écho à ceux des Alpes. Les açoriens-portugais sont toujours aussi accueillants. On mange dans des petits troquets des soupes de poisson maison et des plats du jour pour moins de 6 euros par personne tout compris. Ici, le café coûte 0,50 euros. Comme s'ils étaient les seuls en UE à ne pas avoir connu l'inflation due à l'euro ! Du coup, la vie reste très bon marché, bien meilleur marché qu'aux Antilles ou même qu'en Espagne, même si on est sur des îles à 1000 milles du continent.

Quand nous sommes arrivés, nous avons été accueillis dare-dare par un couple de Français retraités de Saint-Malo, Chantal et Didier, en vacances aux Açores pour quelques mois, et par Marc, un jeune navigateur en solitaire de 20 ans qui fait un demi-tour de l'Atlantique via Madère et les Açores avant de retourner en Bretagne Nord. On a été invités au barbecue qu'ils étaient justement en train de préparer ce soir-là. Ils ont tout partagé en 5 au lieu de 3. C'était impromptu et très chaleureux. Nous profitons de l'escale pour dormir, toujours, nous promener, et nous abriter dans le bateau quand la pluie de la dépression qui nous est passée sur la tête a tout détrempé hier. Mais le port est bien abrité, nous n'avons même pas senti les 30 noeuds de vent qui sévissaient à l'extérieur.

Nous pensons pouvoir prendre la mer après-demain (le 28/06). Il va falloir reprendre scrupuleusement la météo car les dépressions semblent s'enchaîner et on essaye de trouver le bon créneau pour passer au travers sans trop se faire chahuter. Le temps commence à se faire court pour la remontée de la Méditerranée mais nous sommes encore à peu près dans les temps. Et puis, comme le dit Tom, "ça prolonge un peu les vacances...".

23 juin 2009

Sao Miguel : faux départ !

Nous étions en train de nous diriger vers l'Est, la larme à l'œil dans la bruine et la grisaille, en longeant les îles de l'Archipel des Açores quand, au bout de 150 milles, nous sommes passés devant l'île de Sao Miguel... Hummm... Tentant ! On s'y est arrêtés une journée, comme des clandestins, histoire de se faire une petit resto et une bonne nuit de 10 heures à l'improviste ! Nous repartons cet après-midi. Ponta Delgada, la ville principale de l'île et "capitale" des Açores, fait très "grande ville", avec sa marina ultra-moderne (on dirait un palais des congrès tellement c'est chic, béton brut et douches design) un peu comme Las Palmas de Gran Canaria ou encore Palma de Majorque. En revanche, le centre ville est ravissant, tout pavé de petites pierres blanches et noires comme à Horta, avec de vieux bâtiments historiques noir et blancs superbes, dans le pur style açorien (ou portugais ?).
La météo s'avère un peu moins sympathique que prévu, avec deux belles dépressions en lieu et place de l'anticyclone des Açores qui nous amènent un mauvais vent d'est/sud-est (elles tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et on passe au milieu).

Un anticyclone ? Aux Açores ? Où ça ?

On s'attend donc à 24 heures au moins de près dans 3 jours, par 25/30 noeuds de vent, un délice... Mais on pense aussi aux copains qui remontent en Bretagne ou en Vendée et qui sont obligés de monter bien au Nord au lieu de suivre leur cap, en bataillant contre des vents de 20 noeuds dans la figure (Les Kiss Mi dorment par terre à cause de la gîte !). Bon, on verra bien en tout cas. On s'est refait un petit avitaillement des bons fruits et légumes du coin, pour se donner du courage.

PS : Yes Alber, il s'agissait bien d'un iguane sur le dessin ! Faute d'en avoir vu un aux Bermudes... Je me suis dit que c'était une bonne idée d'en immortaliser un aux Açores :) Une espèce rare !

21 juin 2009

Adeus Açores !

Toutes les bonnes choses ont une fin, et nous quittons les Açores (depuis Horta) aujourd'hui. Difficile de trouver la motivation pour cette traversée qui est d'autant plus marquée par la fin du voyage ! Mathieu et Marie (Rose des Sables) sont partis hier, il nous reste encore notre pote Markus (un allemand de notre âge qui voyage en solitaire autour de l'Atlantique sur un voilier de 8 mètres !) pour nous dire au revoir. La traversée s'annonce assez tranquille on l'espère côté météo (pas de grosse perturbation en vue en direction de Gibraltar) mais on reste vigilants, c'est toujours instable à l'approche des côtes européennes ! Nous avons 1100 milles à parcourir pour atteindre Gibraltar. Cela porte la navigation à environ 10 jours. Peut-être nous arrêterons-nous au sud du Portugal ou bien à Tanger (qui est pile dans le détroit de Gibraltar). Les cales sont pleines des bons produits frais des Açores (fruits et légumes, fromages délicieux).
A bientôt pour la suite sur le blog au jour le jour (si notre Iridium ne nous fait pas de blagues :) !

18 juin 2009

Faial : tour de la Caldeira et visite de l'île

Kiss Mi nous a quittés hier ! Tristouille de les voir s'en aller. C'est ça aussi, la fin du voyage, ce sont les séparations au moment où chacun rentre chez lui. Mais qu'à cela ne tienne, nous avons cette semaine fait la connaissance d'un jeune couple d'aventuriers prénommés Marie et Mathieu, qui reviennent de 3 ans de voyage en bateau avec... un ptit bout nommé Yvan, 7 mois (que l'on surnomme aussi "Boatman", en raison de ses aptitudes innées pour la voile, lui qui grandit sur un bateau !). Tous ensemble, nous avons décidé de faire le tour de l'île de Faial, qui en vaut vraiment la peine.

Au petit matin, direction le volcan de l'île. On monte en voiture, certes, mais une ballade de 2 heures 30 nous permet de faire le tour du cratère, la "caldeira", resplendissant de verts de toutes sortes. Au passage, nous profitons de la vue panoramique sur l'île, ses vaches, ses champs, ses vues plongeantes sur la mer.

En redescendant, nous visitons au nord un site où le vocan a craché en 1957, agrandissant l'île de plusieurs dizaines de mètres carrés sur la mer ! Autour de la coulée de lave, la végétation peine à conquérir la pierre volcanique, mais les premières plantes s'accrochent. Dire que toute l'ile était probablement comme ça il y a plusieurs millions d'années !Il fait une température fort agréable et nous profitons de mer sur fond de roches noires. La diversité des paysages est saisissante.





































17 juin 2009

Les peintures rupestres de Horta

Homo maritimus a des talents d'artiste. On avait évoqué les milliers de peintures qui couvrent les murs et les trottoirs de la marina de Horta, signatures obligées des marins de passage. Aujourd'hui, on vous montre nos préférées, celles des copains... et... la nôtre !!! Notre patte à nous peinte à deux mains. Un must :)


16 juin 2009

Chez Peter

On l'a dit, Chez Peter, le Café des Sports, est une institution à Horta. Point de ralliement post-traversée de l'Atlantique, lieu de rendez-vous oblige de tous les marins dès que le soir tombe, son ambiance bigarrée et déjantée promet à chaque fois de belles soirées (et des rencontres pas tristes !) en perspective. Voici quelques clichés, pour célébrer ce lieu mythique (NB : il y en a une chez Kiss Mi, cherchez l'erreur !)






























15 juin 2009

Pico

Horta est si chaleureuse avec ses rencontres entre marins et ses apéros interminables qu'on serait bien tentés de ne jamais en sortir. Erreur ! L'île de Faial, sur laquelle se trouve Horta, est splendide, tout comme l'est l'île de Pico, juste en face, dont le pic volcanique nargue toute la baie du haut de ses 2351 mètres. Aujourd'hui c'est l'occasion d'aller arpenter ses collines valonnées et se promener au pied du volcan. Nous embarquons sur le ferry avec toute l'équipe du Kiss Mi. Deux voitures louées nous permettent de faire un grand tour de l'île. Les paysages nous rappellent tantôt les alpages français, tantôt les bocages du centre de la France, tantôt les highlands écossaises, tantôt la Provence avec de nombreux petits vignobles entourés de murets en pierre volcanique noire. Ici les vaches sont reines, et les produits laitiers qui en découlent sont forcément excellents ! Sur les pentes du volcan, on trouve des petits lacs qui reflètent le ciel en miroir. La température en altitude varie bien de 10° avec celle du bord de mer. Une brume opaque nous rappelle nos excursions en montagne. Pas assez d'énergie pour faire l'ascension du plus haut sommet du Portugal ! On le remet à une prochaine fois... Une petite halte dans un troquet local nous offre aussi un bon aperçu de la gastronomie locale et de ses digestifs qui enflamment les gosiers. Temps magnifique, ambiance bon enfant, détente et bonheur de visiter. Juste ce qu'on aime.



























14 juin 2009

Take it easy...

7 jours après le départ des Bermudes.


L'arrivée aux Açores

... it's all right

En direction des Bermudes, à la recherche du fameux "rayon vert"...



... qu'on a finalement découvert au fond de notre verre à ti-punch.

File, file mon Grégal !

3 jours après le départ des Bermudes. Grégal n'a pas envie de trainer.

13 juin 2009

Gregal chahuté dans la houle, énorme.

12 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+15 : Arrivée aux Açores ! Horta, la lumineuse

8h20 : Je me lève, Tom me dit : "On voit la terre !". L'île de Faial se détache au loin sur un joli ciel clair. Les Açores sont de petites iles volcaniques verdoyantes avec une montagne au milieu, des champs autour et des petits villages blancs aux clochers rouges.

Nous arrivons à Horta à 15h30 UT, après 14 jours et 19h30 exactement de traversée, la traversée qui nous aura le plus enchantés, avec de vraies sensations tout aussi variées qu'intenses. Pas mal pour un binôme comme dirait GrégalFan !
Une petite brise nous pousse jusque dans le port. En cette saison, la marina est très encombrée. Deux autres bateaux tournent en rond depuis le ponton d'accueil en espérant pouvoir décrocher une place. L'un d'eux est un Super Maramu... Vous ne ne croirez pas, il s'agit du "Monblan", LE bateau que Tom s'était évertué à dépanner à Grenade alors que son Maxsea buggait et qui ne nous avait même pas remerciés ! On croit rêver. Là, on peut dire que ses 21 jours de traversée depuis Saint Martin (dont 160 heures de moteur, véridique, et il nous dit comme pour s'excuser : "Nous, il nous faut 20 noeuds de vent au portant sinon on n'avance pas") l'ont quelque peu adouci et il se trouve être très cordial avec nous, une fois que nous nous sommes rappelés à son bon souvenir...

Premiers pas à Horta. Comment vous décrire le port... Il y a un sol pavé, ça fait très authentique. L'air embaume la vieille Europe, avec ce côté désuet des îles de l'Altlantique qu'on aime tant. Il fait frais. Les douaniers sont super sympathiques. Mais le plus remarquable, ce sont les peintures. Horta est célèbre pour ses grafitis élaborés. La marina est couverte des peintures rupestres expérimentales des navigateurs qui croisent ici depuis toujours. Sur les murs, sur le sol, sur le local des poubelles, sur la route, il y a des peintures de partout. La plupart sont exécutées minutieusement avec de la vraie peinture acrylique. Le long des pontons, on croise plusieurs artistes en plein travail. Avec le temps, les fresques les plus anciennes sont recouvertes par d'autres toutes fraiches. Certaines témoignent d'un véritable talent d'artiste ou de graphiste. Baleines, armoiries, voiliers psychédéliques, noms d'équipages sur fond de dauphins, d'art abstrait, couleurs vives ou monochromes, c'est un joyeux charivari très expressif. Tout le monde y va de son coup de pinceau, il paraît que c'est un passage obligé : si on ne laisse pas son dessin à Horta, ça porte malheur. J'avais bien aimé une phrase de Banik sur Horta, qui disait, en substance, qu'il y flottait un drôle de mélange fait du sentiment de satisfaction du devoir accompli et de la nostalgie naissante du voyage qui touche à sa fin... C'est exactement ça.

En chemin, on retrouve Floriane, de Austral, qu'on n'avait pas revue depuis Grenade !!! Retrouvailles comme si on s'était quittés hier. Elle nous explique que Frank est en train de terminer leur peinture-signature. Apparemment, ils ont suivi notre blog et ils s'attendaient à nous voir arriver aujourd'hui. Flo nous montre le chemin du bar du port. On y retrouve Baptiste et Daniel, de Kiss Mi, qui sont arrivés hier ! Que le monde des atlantouristes est petit ! C'est bon de se retrouver. On les avait appelés à la VHF tout du long mais sans succès. On embraye sur les souvenirs de la traversée, les vidéos, les moments forts... autour d'un bonne bière fraiche. Le café du port ressemble à une cantine d'étudiants, avec chaises en tubes d'aciers et tables en contreplaqué. On prend plaisir à dévorer un bon gros burger bien gras accompagné de frites et d'oeufs luisants. On y passera toute l'après-midi, en bande, presque en famille.

Ce soir, on ne les suivra pas chez Peter, le mythique bar des sports où ils trainent tous chaque soir avec bonheur. On va se payer une bonne grosse longue nuit de récupération. Mais avant, une dernière "cerbeja", pour fêter ça. Il faut quand même fêter ça, n'est-ce pas ?

11 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+14

Il est minuit trente ; nous sommes à 170 milles de Horta, sur l'île de Faial. Le vent est un peu plus soutenu que prévu, entre 15 et 20 nœuds. Nous avançons à bonne allure malgré l'état très instable de la mer. La houle croisée enserre Grégal dans un roulis irrépressible qui est assez insupportable à endurer. A l'intérieur du bateau on n'est bien qu'assis ou couché. Le froid de la nuit devient de plus en plus mordant. Outre les couches successives de vêtements, nous sommes contraints de fermer la descente pour tenter de réchauffer l'intérieur du bateau.

Je viens à l'instant de percevoir un couinement aigu ! Je sors la tête en hâte, pour voir s'il s'agit d'un dauphin. J'ai juste le temps d'apercevoir un aileron arrondi : les dauphins sont bien là ! La nuit est noire et le bateau roule tellement que je ne peux pas venir les accueillir à l'avant, même avec la longe de sûreté. Je reste un moment debout dans la descente : parfois, ils viennent à l'arrière du bateau si nous y sommes. Mais là, ma présence n'est pas assez marquante pour les faire rester un peu et déjà leur présence s'efface. Ma frontale balayant la surface noire de l'eau n'a pas suffit : il leur faut un contact plus chaleureux. C'est incroyable comme on reconnaît leurs cris depuis l'intérieur. Je suis à chaque fois fascinée. C'est la traversée où nous enregistrons le record de rencontre avec les dauphins : nous en voyons presque chaque jour ! Il s'agit en général de petits groupes de 4 ou 5 individus, mais parfois, le banc peut dépasser la quinzaine. Le plus longtemps qu'ils nous aient accompagné, c'est près de deux heures. Mais en moyenne, ils restent une quinzaine de minutes.

Nous ne sommes pas fâchés d'arriver bientôt : nous avons du mal à récupérer de la fatigue des jours précédents, et le manque d'énergie entache notre enthousiasme à profiter des dernières journées en mer. L'île de Faial sur laquelle nous nous dirigeons est toute petite, mais la marina de Horta, la ville principale, est devenue au fil du temps le rendez-vous incontournable des voiliers de croisière qui traversent l'Atlantique. Il y a un peu plus de 1100 bateaux qui s'y arrêtent annuellement, d'après notre guide nautique, contre 200 en 1978 et seulement 1 seul en 1930 ! Il semble, dixit le guide, que les Açores soient magnifiques à visiter et qu'il serait dommage de réduire sa visite à la seule marina de Horta. Il parait également que la gentillesse naturelle des açoriens est légendaire. Nous ne savons pas encore combien de jours nous allons rester, et si nous aurons le temps d'aller visiter les îles de l'archipel qui sont un peu plus à l'Est (et qui nous rapprochent de fait de Gibraltar). Nous aimerions pouvoir être de retour courant juillet, pour avoir le temps de réemménager, et la route jusqu'au Golfe du Lion est encore longue.

Je viens à nouveau de sortir la tête pour le tour de guet (que nous opérons toutes les 10 minutes, quoi qu'il arrive, lorsqu'on fait nos quarts depuis l'intérieur), et les dauphins sont toujours là ! Dommage que la lune soit cachée derrière les nuages. Sous le faisceau faiblard de la frontale, je ne parviens que très indistinctement à repérer par moment une masse claire au sommet d'une vague ou un aileron par là. A juger de l'excitation que leur présence provoque à chaque fois chez nous, je comprends un peu mieux le culte mystique et l'adoration que leur vouent un si grand nombre de personnes dans le monde.


16h17: Nous sommes à 98 milles de Horta ! Arrivée prévue demain autour de midi. :)

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Position à 16h20 (UT-2): 38°27,74 N - 30°41,98 W
Cap Fond: 100° Magnétique
Vitesse: 5 nœuds

10 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+13

16h04: 217 milles de Horta (Faial, Açores). Hier c'était presque la pétole et on a bien galéré a gonfler les voiles sur le résidu de houle d'ouest, nous avons dévié notre cap de 45° plus au nord, mais on a réussi à avancer. Cette nuit pluie, 14°C. Ce matin soleil et jolie brise, à midi ciel bas et noir avec un grain d'une rare violence, et maintenant ça se stabilise sur un vent frais NO, ciel dégagé. On file comme une bombe, la mer n'a pas encore eu le temps de bien se former, il faut en profiter. Les manœuvres s'enchaînent sans répit. Maintenant je sais qu'on peut effectuer cette traversée en moins de 15 jours, je m'excite donc sur la moindre risée. On a perdu 2 spis, une drisse de spi et quelques malheureux rivets sur le rail de cloches à tangon. Le 3ème spi a tenu bon jusqu'à présent.
Moral au top. Fatigue aussi.


Le mot de la cuisinière de bord :
Quand nous avions des conditions plus clémentes, j'avais testé en mer ma recette préférée de nems qui avait très bien marché même si quelques ingrédients frais manquaient (pour ma part, pas de persil, de soja frais, de carottes ou de crevettes). Pour mixer les ingrédients, j'ai utilisé mon mixeur-plongeur à soupe branché sur le transfo 220V. Il faut juste une allure portante ultra tranquille sur mer belle (ou mieux : avancer au moteur dans la pétole) et deux bons serre-casseroles pour éviter de s'ébouillanter avec la cocotte minute au moment de la friture (j'avais mis environ 3 cm d'huile d'olive au fond, ça suffit pour frire mais plus elle est chaude, meilleur le résultat est). Je vous la laisse découvrir, c'est délicieux et somme toute assez rapide !

NEMS
pour 10 à 15 nems (selon la taille) :

- 1 paquet de galettes de riz
- 200 g de pousses de soja
- 3 carottes moyennes râpées
- 600g de viande de porc (échine) et/ou 400g de crevettes fraîches décortiquées
- 100 g de chair de crabe
- 200 g de vermicelles de soja
- 25g de champignons noirs chinois
- 2 oignons
- 1/2 bouquet de persil frais
- 2 œufs
- 2 c. à soupe de sauce soja
- poivre
- 1 c. à café de sucre roux
- 1 c. à soupe de Maïzena
- 3 cuillères à soupe de nuoc mam

Pour la sauce des nems :

- 1 c.à café de sucre
- 3-4 c.à soupe de nuoc mam
- une gousse d'aïl hachée
- une cuillère à café de carotte râpée que vous pouvez piocher dans celles que vous allez mettre dans la farce à nems.
Mélanger le tout dans un ramequin et diluer dans 5-6 cuillères à soupe d'eau. Pas besoin de sel car le nuoc mam est très salé. Possibilité d'ajouter un petit piment haché.

Préparation de la farce des nems :

* Faire tremper dans de l'eau chaude les champignons séchés 5 minutes environ, les égoutter et les hacher finement au mixer.
* Hacher les oignons au mixer, puis le persil frais.
* Hacher au la viande de porc / les crevettes décortiquées.
* Faire tremper les vermicelles dans de l'eau chaude, les égoutter et les couper aux ciseaux en morceaux de 2 cm de long environ.
* Ajouter ensemble les ingrédients hachés, les vermicelles, les carottes râpées et la chair de crabe.
* Ajouter le sucre, le sel, le poivre, le persil, la sauce soja, le nuoc mam, la maïzena et les œufs entiers.
Mélanger le tout. Laisser reposer au frais si possible.

Pour le pliage des nems :

* Faire tremper chaque feuille (ou une demi feuille, pour des nems plus petits) dans un bol d'eau chaude additionnée d'un trait de sauce soja, jusqu'à ce qu'elle devienne bien souple et translucide (si l'eau est très chaude, un aller-retour suffit).
* La déposer sur le plan de travail propre et sec, le bord rond face à vous.
* Disposer une quenelle de farce (une cuillère à soupe) à environ deux centimètres du bord rond. Rabattre le bord rond sur la farce.
* Rabattre les pointes des deux côtés vers le centre.
* Rouler le nem comme un cigare, jusqu'à l'extrémité supérieure en serrant bien.
NB : Si les feuilles de riz sont fines, j'enroule chaque nem dans une deuxième feuille (ou une deuxième moitié), notamment s'il s'est ouvert ou déchiré par endroit au cours du 1er pliage.

Faire frire les nems (huile de tournesol, de sésame, d'olive ou d'arachide) jusqu'à ce qu'ils soient croustillants et que la feuille de riz soit bien boursouflée (environ 3-4 minutes par nems). Si la feuille de riz reste translucide et molle, ce n'est pas cuit. Réserver au four au fur et à mesure.

NB : S'il reste des nems crus, on peut les congeler. Pour les cuire, à la sortie du congél, les jeter simplement dans l'huile chaude.

Servir avec de la salade verte et des feuilles de menthe.

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Position à 16h06 (UT-2): 38°43,94 N - 33°14,08 W
Cap Fond: 115° Magnétique
Vitesse: 6.5 nœuds

9 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+12

Victoire ! Nous avons fini par nous sortir de ce traquenard infernal. La journée d'hier n'a pas été triste. Nous avons bien cru que la mer démontée allait nous happer dans ses montagnes d'eau. Pour couronner le tout, comme si le vent à 45 nœuds ne suffisait pas, une pluie battante s'est abattue sur notre frêle esquif. A un moment, nous sommes même passés à moins d'un mètre d'un bébé cachalot... accompagné de sa mère, énorme, qui devait dépasser les 10 mètres de long. Soudain, le petit a sorti sa tête carrée de l'eau et nous avons constaté, horrifié, qu'une masse brune colossale se trouvait juste à côté. Drôle d'impression que cette tâche brun sombre de monstre marin au beau milieu d'une colline d'eau que Grégal escaladait tant bien que mal. On a bien cru qu'on se prenait la bête. Mais non. Coup de pot ! Dommage que les vidéos n'arrivent pas à retranscrire la réalité de la mer (hé non, on n'a pas pu filmer les baleines).

Aujourd'hui, le vent a faibli, mais la houle résiduelle rend la navigation chaotique. Heureusement, le soleil a fait son grand retour. Nous sommes crevés, et la journée se passe entre siestes de récupération et quarts de veille. La météo devrait se montrer clémente pour les prochains jours, ce qui nous permettra normalement d'atteindre les Açores sans encombre.

Cette situation difficile m'a rappelé une histoire drôle que Simon, le parrain de Tom, nous avait raconté alors que nous nous apprêtions à quitter le port de Sète. Cette histoire m'a tellement plu que je vous la livre ici, remaniée à ma sauce pour le décor, mais la chute y est toujours, et elle est délicieuse. Jugez plutôt.

L'amiral Smith était un homme de cœur et d'esprit qui s'était illustré par une loyauté sans failles au cours de ses nombreuses années de service auprès de la Royal Navy de Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria (qui, ce n'était un secret pour personne, n'avait rien de gracieux, ceci en raison d'une hérédité malheureuse qui l'avait rendue irrémédiablement prognathe). Les réussites incontestables des campagnes qui jalonnaient sa longue et vénérable carrière avaient taillé au personnage plus qu'une réputation : l'amiral Smith faisait figure, au yeux de beaucoup, de véritable légende.

Plus particulièrement, son second, le capitaine Lloyd, avait toujours secrètement envié la saine assurance, l'inspiration divine et la détermination de l'amiral dans la direction des opérations qui menaient toujours ses vaisseaux à la victoire, même au cœur des plus terribles conflits. Un détail mystérieux intriguait cependant Lloyd. Il était persuadé que l'amiral détenait un secret, et que ce secret était à la source de son talent inouï de militaire et de marin. En effet, dans chaque bataille ou au milieu de chaque tempête que le galion de Smith avait traversées - et elles étaient nombreuses - l'amiral disparaissait soudain dans ses appartements. Lorsqu'il en ressortait quelques instants plus tard, son visage était comme illuminé d'une foi nouvelle, et les ordres qu'il donnait alors, si merveilleux de précision et époustouflants de prouesses tactiques, finissaient toujours par se solder par une victoire magistrale et sans appel. Jamais l'amiral Smith n'avait eu à déplorer la moindre perte parmi ses hommes d'équipage. Jusqu'aux alcôves dorées de la cour Royale, on murmurait qu'il y avait là un prodige.

Mais l'amiral Smith, tout aussi invincible qu'il était, finit par se faire vieux. Son corps fut un jour inhumé, comme il se devait, avec les honneurs suprêmes de la Marine Royale. Le commandement du galion de Smith revint ce jour-là au capitaine Lloyd. Il eu également la surprise et l'immense privilège de recevoir en legs la minuscule clé d'or que l'amiral Smith portait toujours à son cou (c'était là la volonté de Smith, inscrite dans son testament). Cette clé était la clé de la réussite, Lloyd le pressentait. Il attendit la prochaine campagne comme le Saint Sacrement. Lorsqu'il fut envoyé à Saint Hélène, défendre les bases arrières contre une nouvelle attaque de la marine française, il ne put réprimer son impatience. Au paroxysme des évènements, alors qu'aucune des deux armées n'avait encore pu prendre l'avantage, Lloyd se précipita dans les appartements de feu l'amiral, serrant dans sa main la précieuse petite clé d'or.

Il ne tarda pas à découvrir, à l'abri d'un tiroir du lourd bureau de chêne sculpté, un petit coffre de mahogany dont la serrure semblait parfaitement correspondre à la clé dont il avait hérité. Les mains tremblantes, Lloyd fit jouer le fermoir doré. Il allait enfin s'emparer du secret de l'amiral Smith et devenir, à son tour, une légende vivante. A l'intérieur du coffre, un minuscule petit morceau de parchemin usé était scrupuleusement roulé. Lloyd le déplia fébrilement, ému de découvrir la formule magique ou l'incantation qui allait procéder à sa transmutation et le conduire à la victoire. A la lecture du parchemin, ses yeux s'écarquillèrent et un rictus atroce déforma son visage. Il se sentit défaillir et dû se rattraper à la chaise pour ne pas tomber. Dans ce geste, il lâcha le petit papier qui roula sur le parquet ambré. Quatre mots y étaient tracés à l'encre noire :


Bâbord = gauche
Tribord = droite

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Position à 16h01 (UT-2): 38°38,6489 N - 35°39,9142 W
Cap Fond: 148° Magnétique
Vitesse: 4.2 nœuds


8 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+11

10h00. Cette fois, pas de doute, on est au cœur du coup de tabac. Cette nuit, le vent est progressivement monté pour atteindre 25 nœuds et plus en rafales. L'éolienne siffle sans discontinuer, de concert avec les haubans. La mer est forte à très forte, avec des creux gargantuesques et une surface plissée en permanence sous les risées, et couverte de remous. Cette nuit, le spectacle de ces eaux tumultueuses éclairées par la pleine lune était à couper le souffle. Pas de déferlantes ou de vagues scélérates pour autant, c'est toujours ça de gagné. Le résultat est somme toute assez impressionnant. Le petit triangle de génois tangonné à l'avant remplit parfaitement son office et le pilote se surpasse au delà de toutes nos espérances. Malgré ces efforts permanents à la barre, Grégal est balloté dans les vagues et retrouve sa fonction optionnelle de bouchon de mer. A l'intérieur du bateau, on arrive à trouver un peu de répit à condition de rester relativement immobile, et on limite les sorties dans le cockpit au maximum. D'abord, pour se protéger du froid qui est peut-être la composante la plus pénible de cet épisode agité. Après la troisième couche de pulls est venu le port du bonnet de laine. La nuit, nous dormons mal, même en essayant de se caler dans les antiroulis. Froid oblige, on se pelotonne dans nos épaisseurs de vêtements en plus des couvertures. Heureusement, nous ne sommes pas mouillés. Le pire dans ces cas-là, c'est quand il fait froid et qu'on ne peut même pas être au sec. Brrrrr !

Les oiseaux souffrent aussi, apparemment. Les petites pétrelles océaniques ont du mal à se poser sur l'eau pour reprendre des forces, à cause des vagues qui risquent de les engloutir si elles s'attardent trop. Du coup, elles volettent faiblement en tâchant de se maintenir dans les courants d'air. De temps en temps, l'une d'elles vient tourner avec envie autour de Grégal, mais se poser, aussi tentant que cela puisse être, reste beaucoup trop intimidant. Par chance, le soleil nous accompagne depuis hier. Nous attendons en début d'après-midi un durcissement ultime jusqu'à 30 nœuds et puis le tout devrait progressivement décroître. Le retour de la pétole est même prévu pour après-demain. En définitive, la journée va se passer le plus simplement du monde. Elle consistera à alterner en permanence quarts de veille et quarts de sommeil courts, pour se maintenir en état, à défaut de pouvoir complètement récupérer avant demain.

13h00 : La météo est décidée à ne pas nous laisser souffler tout de suite ! Le vent est monté en puissance, comme prévu. Et là, c'est un autre univers. De forte la mer est devenue presque grosse. Au somment des collines d'eau, d'autres vagues plus petites se forment et déferlent. Les remous de surface se sont mués en grandes plaques bouillonnantes d'eau turquoise clair, comme si on avait oxygéné la mer par endroits. De partout, le vent détache des embruns blancs. La force des rafales doit bien s'établir autour des 45 nœuds. L'éolienne déchaînée s'est transformée en centrale électrique. Nous avons réduit le génois à un mouchoir de poche. Contre toute attente, le pilote poursuit son travail héroïque. Nous nous sommes orientés plein vent arrière, pour glisser sur la houle énorme. Certains surfs de Grégal en descente dépassent les 10 nœuds ! On n'est jamais allés aussi vite ! Du coup, on remonte un peu trop sur notre cap, mais le vent devrait virer secteur nord-ouest dans la nuit. Et surtout, faiblir ! Tom a réalisé plusieurs petites vidéos pour montrer la puissance des éléments. A l'intérieur du bateau, même si ça roule toujours autant, on est heureusement tranquilles, et cela nous permet de nous détendre en écoutant de la musique pour nous détacher un moment de cette météo musclée.

14h00 : 20-25 nœuds : ça descend ! :) Plus qu'une nuit avant le retour de l'accalmie ! Nous en saurons davantage en prenant la météo du jour dans un moment.
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Position à 14h16 (UT-2): 38°37,13N - 38°27,04W
Cap Fond: 80° Magnétique
Vitesse: 6.7 nœuds



7 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+10

Bonne fête aux mamans ! Voyez, même au milieu de l'Atlantique, vos enfants pensent à vous ! Bon, c'est vrai, ce n'est pas toujours rose d'avoir des enfants qui s'en vont batifoler au bout du monde sur un vieux petit voilier. Ça fait faire du souci, ah, ça !... Mais au moins, pour vous consoler, vous pouvez vous dire que vous auriez pu mettre au monde des Moitessier ou autre Florence Arthaud. Là, c'est un degré au-dessus. Enfin, dites-vous qu'au moins vos enfants sont épanouis et heureux, dans leur voyage, et que c'est là l'important, non ? En attendant, on vous embrasse et on vous souhaite un joyeux dimanche :)

De notre côté, notre dimanche risque aussi de ne pas être triste. Il est minuit 24, et le ciel est auréolé de la belle lumière d'une pleine lune nimbée de quelques nuages cotonneux. On y voit très clairement, ça donne l'impression d'avoir un soleil sur un ciel noir. Pour l'instant, la mer est belle, l'horizon tranquille, et nous avançons au moteur. Si la météo dit vrai, le vent devrait forcir progressivement dans la nuit, pour s'établir en début de matinée à un bon force 7 bft, avec 25-30 nœuds en moyenne. Nous ne pouvions quand même pas y couper. Tous ceux qui ont à leur actif une traversée de l'Atlantique retour ont vécu, à un moment donné, des passages pas ennuyeux par 45 à 60 nœuds de vent. On dirait que c'est le baptême obligé, entre deux épisodes de pétole ensoleillée.

Cet après-midi, le Capitaine a donc lancé une grande campagne de préparation du bateau. Il a rangé tout ce qui dépassait dans le cockpit : pare-battage, seaux, torchons qui sèchent sur les filières, moteur d'annexe (un pote de ponton rencontré en Guadeloupe nous avait à ce propos indiqué que le sien, de moteur d'annexe, s'était malencontreusement envolé dans un gros coup de tabac au large de la Corogne qui lui avait arraché son balcon arrière). Pendant ce temps, j'ai préparé l'intérieur : tout planquer dans les équipets, sortir les plats préparés individuels à réchauffer (ces heureuses barquettes en plastique vendues au rayon conserves et qui permettent au marin trempé d'obtenir lasagnes ou blanquette de veau industrielles en un coup de cuillère à pot) et les stocker à portée de main, sortir cirés et pantalons de cirés, ranger les piles de magazines et les bouquins qui traînent derrière les toiles anti-roulis (nos espaces de rangement privilégiés en navigation), mettre appareil photo et caméra à l'abri, préparer un petit nid douillet pour le PC de bord, calé derrière l'anti-roulis d'une couchette supérieure du carré entre plusieurs coussins (ce qui lui permet de ne pas glisser ou de s'envoler dans un coup de gîte, d'une, et de deux, d'être préservé de l'inondation au cas où une vague scélérate viendrait s'abattre sur la table à carte par la descente - ce qui a jadis coûté la vie à notre ancien PC de bord), mettre à portée le matériel de sécurité et de survie.

En fin de journée, nous étions fin prêts. Nous avions affalé le dernier spi qu'il nous reste, jaune et satisfait de nous avoir fait avancer pendant une bonne partie de la journée dans une minuscule brise. Nous avions aussi plié et ferlé la grand voile (le vent devrait s'établir plein Ouest, on l'aura donc dans le dos et on a pris le parti de ne sortir que le génois pour avancer). Il ne nous restait plus qu'à mettre en place l'étai largable et endrailler dessus le tourmentin, toute petite voile "pour la tourmente", comme son nom l'indique. Le nôtre est ravissant : c'est un petit triangle de toile forte criblé de tâches de rouille façon léopard. Lui aussi est d'origine, il porte l'inscription "1976 : 3/4 Ton-Cup". C'est bon de nous rappeler que ce cher Grégal a régaté allègrement dans ses jeunes années. Voilà, le tourmentin est à poste, prêt à servir au cas où sans que l'on ait à aller s'échiner à l'avant dans les vagues.

Puis, fiers et heureux de notre travail accompli, nous avons célébré l'évènement avec un apéro-ti punch au coucher du soleil. Bien sûr, on ne sait pas exactement à quoi s'attendre. L'inconnu reste surtout l'état de la mer. Il va probablement falloir s'attendre à de sacrés creux et quelques bonnes lames déferlantes. La bonne nouvelle, c'est que le coup de chien ne devrait durer que 36 heures en moyenne (c'est incroyable comme la mer peut passer d'un état à un autre en un clin d'œil, au milieu de l'Atlantique) et que nous sommes passés sous la barre des 600 milles !
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9h45 : On y est. C'est ce matin que le vent doit commencer à forcir. A 10h00 exactement, sur le fichier Grib, les flèches violettes qui entourent le bateau devraient être chassées par de vilaines plus grosses flèches rouges (20, 25 puis 30 nœuds de vent). C'est comme si une vague énorme de grosses flèches rouges nous poursuivait au train depuis un moment pour nous rattraper aujourd'hui exactement, à 10h00. Je suis de quart et Tom m'a conseillé, en allant se coucher, d'enrouler du génois au premier signe de durcissement des conditions.

9h55 : Je passe la tête par la descente, prête à me ruer sur le génois pour réduire la toile à la première rafale. Mais rien ne se produit. La mer reste peu agitée, avec seulement quelques moutons qui blanchissent ça et là sur les crêtes des vaguelettes. Quelques nuages passent. Pas de quoi endormir ma vigilance. Je veille au grain.

10h00 : Le bateau fait une petite embardée sur une vague (on roule pas mal en vent arrière, avec le génois seul à l'avant), et l'éolienne monte dans les tours. D'un bond, je me précipite dans le cockpit comme une furie. Fébrile, je choque d'une main l'écoute de génois pendant que de l'autre j'enroule comme une hystérique. Voilà, le triangle a diminué de 15%. Je reborde un peu ma voile et contemple le travail bien fait. Je vais vérifier sur le GPS à quelle vitesse fulgurante nous allons, maintenant que le vent a forci. 4 nœuds. Je me demande où est le problème, alors qu'il y a une heure on frôlait les 6 nœuds de moyenne. Je ressors dans le cockpit. La réponse est là, le vent n'a pas forci d'un poil. La mer est toujours belle, à peine agitée.

11h00 : J'ai sorti un bouquin. Je prends mon mal en patience, persuadée que tout n'est qu'une question de minutes... Ou d'heures ?

13h00 : Tom s'est réveillé, on a déjeuné tranquilles, au soleil, il n'y a presque plus de nuages dans le ciel. Le vent est resté constant, on taquine toujours les 6 nœuds dans une stabilité toute remarquable, merci pilote (qui pour une fois fait bien son boulot). Pour se donner du peps, on a mis Aretha Franklin à fond les bielles. Je me dis que si c'est comme ça, la traversée de la voie lactée de grosses flèches rouges, c'est pas tant mal. Mais le Capitaine plisse son œil d'expert et me dit : "Ne vendons pas la peau de l'ours..." ou un truc semblable qui voulait dire : "Attendons de voir, jeune Padawa". C'est majestueux, quand même, la sagesse d'un Capitaine.

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Position à 14h56 (UT-2): 38°00,27N - 41°14,34W
Cap Fond: 98° Magnétique
Vitesse: 5.5 nœuds


PS du Capitaine (qui a bon dos, hein):
14h56 : Ça commence à siffler.

6 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+9

On a sorti le 3ème et dernier Spinnaker, celui de la dernière chance :)
Beau temps, vent d'Ouest faible.
Mais ça arrive dans la nuit et on est prêt, corneguidouille !

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Position à 16h19 (UT-2): 37°46,26N - 43°34,79W
Cap Fond: 103° Magnétique
Vitesse: 4.2 nœuds


5 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+8

Il est minuit. Tom vient doucement me réveiller. Comme souvent, il a eu la délicatesse de me laisser dormir au delà des trois heures réglementaires. Je fronce les sourcils mais je comprends bien. Réveiller quelqu'un qui dort à poings fermés, au milieu de la nuit, n'est jamais chose aisée. On se sent passer pour un bourreau sadique. Alors on traîne un peu plus... Nous jouons ainsi volontiers aux marquis galants du XVIIe siècle. "- Mais après vous, je vous en prie. - Non, après vous, Très Chère. - C'est trop d'égards, Marquis, vous m'en voyez confuse. - Point n'est question d'égards là où le cœur aveugle nous guide, Milady". Le petit jeu peut durer longtemps et voici que les quarts s'étirent réciproquement comme des chewing-gums.

Le plus difficile, quand on s'éveille, c'est le froid. Au milieu de l'océan et dans les latitudes Nord, la sensation de froid est décuplée par l'humidité de l'air. Un froid humide est très pernicieux à combattre. Il pénètre dans tout. Il y a trois jours, il a fallu sortir la deuxième couche de pulls. Aujourd'hui, la deuxième couche de pantalons. Seule la superposition fait barrière. Pourtant une fois le jour levé et le soleil sorti de derrière l'horizon, la température remonte instantanément. A midi, si le ciel est dégagé, il fait même très chaud. On se promène alors en shorts et t-shirts. L'intérieur du bateau se réchauffe progressivement, et la fournaise a vite raison de l'humidité de la nuit. Les coussins, les draps, les couvertures, les vêtements sèchent. Puis le soir vient, avec sa pellicule de rosée qui détrempe tout, à l'intérieur comme à l'extérieur. Heureusement, notre pilote barre pour nous jour et nuit et c'est déjà ça de gagné pour maintenir notre température corporelle.

Enfin, déléguer la conduite du navire a aussi ses conséquences fâcheuses. Par exemple, malgré toutes nos tentatives pour régler le pilote, il continue ses minauderies et refuse notamment de contrer rapidement un départ au lof (= le bateau remonte brusquement face au vent sous l'action d'une risée ou d'une vague) (contrairement à notre ancien modèle qui, dépourvu de gyroscope, était moins subtil dans le maniement de la barre et dans la négociation des vagues, mais avait au moins le mérite de garder son cap). Résultat, il se laisse embarquer au vent avant de redresser la barre (quand il ne se met pas au contraire à la pousser !), et l'accélération qui provoque un gonflement soudain des voiles est périlleuse. Hier a ainsi été une journée funeste : nous enregistrons le déchirement de deux spis en 12 heures ! Pourtant, pour le premier (le léger), c'était la nuit et il y avait un vent moyen autour de 10 ou 12 nœuds de vent. Pour le deuxième (le moyen orange, notre fétiche), c'était en journée et le vent atteignait à peine les 20 nœuds en rafales. C'est l'incompréhension. Nous nous demandons si cela est dû à la vieillesse des spi qui par ailleurs ont bien servi pendant ce voyage, ou au fait que nous les avions réglés trop sur le travers (entre le grand largue et le travers). Ou bien, c'est la faute à notre pilote qui se laisse embarquer.

Résultat : sans spi, dès que le vent retombe, nous devons faire appel au moteur. Nous attendons en principe le passage d'un fort vent d'Ouest qui se précise à partir du 6 jusqu'au 8. Le fichier météo grib nous montre une vague de belles flèches rouges prévoyant des vents autour de 30 nœuds hors rafale. Ça va être rock-n'-roll. La bonne nouvelle, c'est que nous sommes passés sous la barre des 900 milles ! Nous entamons aujourd'hui notre 8e jour depuis les Bermudes (le chiffre que nous affichons en en-tête des billets (J+15) correspond au cumul avec le trajet St Martin-Bermudes : ça peut être perturbant !). Même si nos moyennes journalières "tombent" en ce moment à 110 milles, nous continuons à tenir un rythme très honorable. Qui plus est, la tranquillité et la fluidité de cette traversée retour sont bien supérieures à celles de l'aller ! Pas de grains, moins d'angoisse et pour l'instant, Eole soit clément, pas de gros coup de vent. Enfin, nous en reparlerons dans 3 jours !

NB : la petite histoire postée hier a en fait été rédigée pendant la traversée aller, le 23 décembre exactement ! Nous avons attendu le retour pour la poster, car elle s'inscrivait mieux dans le contexte :)

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Position à 15h51 (UT-3): 37°29,05N - 46°10,91W
Cap Fond: 096° Magnétique
Vitesse: 4.5 nœuds

4 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+7

La chevauchée fantastique

Ce qui devait arriver arriva : un jour, alors que nous nous apprêtions à quitter un mouillage paradisiaque sur l’île de Moustique, Grenadines, le Capitaine eut un accès de rage. Une fois de plus, il sortit de ses gonds, dans des proportions si impressionnantes que je ne pus cette fois le lui laisser passer. Certes, cet accès de colère était en partie justifié : nous avions décidé de lever l’ancre de bonne heure ce matin-là, et une fois de plus, l’ancre de Grégal était restée inexorablement bloquée dans les eaux turquoises du lagon. Le Capitaine avait eu beau user de ses muscles tannés et luisants, rien ne venait. Sous la tignasse et la barbe broussailleuse, le ton commençait à monter : « Nom de Dieu de nom de Dieu ! C’est quoi ce bordel ? Y’en a plus qu’assez de ce maudit rafiot ! ». L’ancre ne bougeait pas d’un iota et pour cause : elle s’était prise dans le mouillage complet qu’un navire de plaisance peu scrupuleux avait jugé bon d’abandonner là, alors que son ancre s’était elle-même probablement coincée dans le récif corallien.

A la fin de la journée, comme tous les jours que Dieu fait, je me fis un devoir de relater les faits dans le journal de bord. A la lecture du papier, le Capitaine explosa : « Puisque c’est comme ça, matelot, que c’est avec ce torchon que tu me remercies de te promener dans des coins paradisiaques, je dis : Assez ! Je ne veux plus d’un ingrat comme toi à bord de mon bateau ! Je m’en vais d’ailleurs me trouver une gentille petite Antillaise bien potelée qui te remplacera avantageusement derrière les fourneaux ! Et fous moi le camp de là ! J’veux plus te voir obscurcir mon horizon bleu ! ». Je n’avais d’autre choix que d’obtempérer au plus vite pour ne pas aviver le courroux du Grand Chef. Je pris mon baluchon et jetai un dernier regard triste au fier Grégal qui m’avait jusque ici portée vers de si belles aventures…

Mais mon chagrin ne fut que de courte durée. De retour au port du Marin, Martinique, je passai une petite annonce et proposai mes services de cuisinière de bord aux bateaux en partance pour une transatlantique retour. Très vite, le riche équipage monégasque d’un magnifique Super Maramu de 60 pieds, tout équipé, me contactait pour me recruter. Le capitaine dudit navire, l’élégance discrète retenue derrière une moustache lissée au fer et un sourire ultrabright, me souhaita la bienvenue à bord.

Deux semaines plus tard, j’étais en train de charger l’avitaillement que j’avais préparé pour deux semaines de traversée (en effet, le capitaine m’avait expliqué, faisant étinceler ses dents sous sa moustache, « Que cette bonne petite traversée n’excéderait Grand Dieu pas les douze jours bien tassés ! ») quand j’aperçus, sur le quai, le Capitaine du Grégal. Passant devant moi, il rignassa et lâcha, en avançant les lèvres dans une moue de dédain : « Vois-tu, matelot, j’ai embauché Désirée qui a l’air d’être une cuisinière aussi dévouée que discrète. Je perds pas au change ! ». Sur ces mots de courtoisie, nous nous saluâmes sobrement. Le Super Maramu appareillait dans une semaine alors que le Grégal partait le lendemain même.

Nous étions depuis quatre jours en traversée. Je m’occupai des repas de l’équipage de sept navigateurs professionnels, ainsi que du capitaine et de son épouse, mais en contrepartie, j’étais exemptée de quarts. Cela me laissait par conséquent tout le temps de visionner des films sur l’écran plat géant en boulottant un sorbet aux litchis sorti tout droit du congélateur… Un après-midi, alors que je flânais sur le pont, j’aperçus environ deux milles devant la voile bien connue estampillée F7007 : c’était ce bon vieux Grégal !

Quand nous fûmes à portée de VHF, je saluai l’équipage du fier petit voilier. Avec ses deux voiles d’avant, Grégal avançait bien, mais sous spi de 130 m², nous l’avions vite rattrapé. Le bateau était à environ 200 mètres de nous quand je distinguai, sur la plateforme arrière, une petite forme recroquevillée, sanglée par une longe au-dessus de l’eau. Je demandai poliment : « Bonjour Désirée ! Pourriez-vous me passer le Capitaine ? ». Il y eut un court silence, comme un moment d’hésitation. « Bien sûr Mademoiselle, c’est avec plaisir, mais voyez-vous le Capitaine n’est pas dans ses meilleurs jours ! C’est comme vous voulez ! ». Je renchéris, confiante : « Ne vous inquiétez pas, Désirée, j’ai l’habitude ». Je n’avais même pas eu le temps de prononcer « Bonjour, Capitaine », qu’une volée d’injures s’éleva du haut-parleur de ma radio, à demi couverte par un jet de postillons qui fournissait un fond sonore pétaradant. « - Nom de Dieu matelot ! Tu viens me narguer jusqu’ici sur ton paquebot rutilant ! ». J’enchaînai, pour détendre l’atmosphère : « Je m’enquerrais seulement de votre santé, Capitaine ! ». La VHF pétarada mais je pus distinguer : « - Tu sais ce qu’elle te dit, ma foutue santé ?!! J’suis là sanglé depuis quatre jours au-dessus de l’eau, vidé par une colique à vous lessiver un cachalot ! Et pourquoi crois-tu que je sois là, à présenter mon cul à l’océan ? Et bien, ça fait dix jours que je suis malade comme un chien et mes chiottes sont bouchés ! Ah, tu te marres bien, de là-haut, petit morveux! ». Inspirant de grandes bouffées d’air en vue de ne pas succomber à un fou rire nerveux, j’ajoutai : « C’est étonnant Capitaine ! Désirée n’est-elle pas une cuisinière hors-pair ? ». Le volume de la réponse monta si haut que la radio émit un abominable larsen. « - Bon Dieu pour cuisiner, ça, elle cuisine ! Et des accras par-ci, Monsieur le Capitaine, et un poulet gombo par-là ! ». Il y eut un bref silence. « Mais bordel ! Pourquoi cette diable de Désirée s’obstine-t-elle à verser un pot entier de piment dans chacun de ses foutus plats ??! ». Prétextant un défaut de réception, je leur souhaitai bonne route et restai là, de longues minutes durant, à rire au beau milieu de l’océan.

Un mois plus tard, j’étais en transit à Gibraltar quand une silhouette hirsute et amaigrie vint me tapoter l’épaule. Je sursautai : « Oh, Capitaine ! Quel bon vent ? Je vois que cette traversée douloureuse s’est finalement bien terminée ! ». La mine renfrognée sous ses sourcils froncés, le Capitaine du Grégal maugréa : « - Ouais, et toi tu m’as l’air frais comme un gardon ! ». « - Pour sûr, la traversée de douze jours a été un plaisir, et j’ai reçu 2000 euros de salaire en échange de mes loyaux services ! Je suis ravie ! ». Le Capitaine eut soudain l’air pensif : « - Ouais, ben moi j’ai bien cru que j’allais y rester ! J’ai bien failli crever dans cette affaire ! A la fin, j’en pouvais tellement plus qu’à peine arrivés à Gibraltar, j’ai remercié Désirée en la suppliant de sauter dans le premier avion. Pour l’aider à se décider, je lui ai filé 2000 euros, qu’elle se paye son billet de retour vers les Antilles, plus dédommagement ! ».

Dans la lumière rasante du soir qui tombait sur les cargos gisant devant le Rocher, je fus prise d’affection pour ce Capitaine malchanceux. « - Allons bon, avec ma solde, on peut dire qu’on a remis la caisse de bord à zéro, non ? ». Le Capitaine leva les yeux vers moi. Sous ses traits tirés, je crus déceler un semblant de sourire.

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Position à 15h06 (UT-3): 37°12,24N - 48°38,48W
Cap Fond: 096° Magnétique
Vitesse: 4.5 nœuds


3 juin 2009

Transat retour Bermudes - Açores : J+6

La voilà ! La pétole a fini par nous rattraper ! Nous y avons cru pourtant, hier, en hissant les couleurs du grand spi orange. Mais au bout de quelques heures glorieuses de surf sur la minuscule brise, il a fallu se rendre à l'évidence : le spi pendait mollement autour de l'étai, en berne, et la grand voile se mettait à claquer abominablement. Il n'y avait plus un souffle de vent. Notre vieux Volvo Penta 19 CV rafistolé a donc pris la relève, stoïque et toujours vaillant malgré ses nombreuses interventions chirurgicales subies (voir l'épisode "Bequia"). Il tourne impeccablement. Tom laisse la porte des cales moteur ouverte, on ne sait jamais, pour qu'on puisse en permanence ausculter son ronron et que l'on soit en mesure d'y déceler le moindre raclement de gorge qui ne serait pas naturel. Cette ouverture béante sur la bête en marche nous permet aussi de scruter l'apparition d'huile perdue en fond de cale - notre hantise depuis que nous avons restratifié le carter à la résine epoxy et que nous avions, dans un mouvement désespéré pour serrer un boulon inaccessible lors du remontage, malencontreusement cassé une vis par laquelle nous suspectons quelques gouttes d'huile de filtrer. Mais rien. Le plus enthousiasmant, c'est que même en calant le moteur sur un régime plutôt bas, autour de 1800 tours, nous parvenons à maintenir une vitesse oscillant entre 5 et 6 nœuds en moyenne. C'est plus que nous ne pourrions espérer ! La cerise sur le gâteau, c'est la consommation de gasoil qui en découle : un peu moins de 1 litre à l'heure ! A ce rythme, la pétole peut continuer (un peu) à sévir, nous avons plusieurs jours de moteur devant nous avec nos 150 litres de réserve. Rien de bien comparable à nos amis "champions de la route directe", comme les surnomme affectueusement Tom. Ces équipages surréalistes que l'on croise dans la baie de Saint Martin ou du Marin, et dont le pont du bateau est couvert de rangées bien alignées de plusieurs dizaines de jerricans rouges ou jaunes !

Nous ne nous réjouissons pas d'avancer au moteur pour autant, loin de là. Le vacarme dont il nous gratifie empêche quelque peu de savourer la sérénité de l'instant. Mais il faut dire que les conditions de navigation par petit temps sont tellement confortables ! Quand nous pouvons profiter du retour de la brise thermique, en général en fin de journée, nous éteignons le moteur et admirons Grégal filer sur une mer à peine ridée de quelques ondulations. L'absence totale de houle le fait glisser sur les flots sans bruit. A l'intérieur, tout est si stable qu'on pourrait croire que nous sommes au mouillage dans quelque anse bien abritée. Hier la journée a été superbe, le soleil inondait l'océan pendant que notre petit bateau avançait seul, au beau milieu de cette étendue bleue. Pas un cargo en vue. L'intérêt, quand il n'y a pas de houle, c'est que le regard porte à l'infini. On décèle ainsi immédiatement l'aileron d'un dauphin qui s'approche ou le museau d'un baleine qui émerge dans un élan. Nous pensons en avoir vu une, hier, elle était loin cependant et il aurait été possible de la confondre avec le corps d'un gros poisson propulsé au-dessus des flots pendant la chasse. Nous croisons aussi très souvent d'étranges méduses. Elles se présentent sous la forme de vaisseaux translucides, aux reflets irisés violet vif et rose fluo. Contrairement aux méduses traditionnelles, qui nagent sous la surface, celles-ci avancent en flottant sur l'eau. Leur forme s'approche du chausson au pomme, qui avancerait sur la tranche, la "voile" gaufrée dressée au dessus des flots. L'extrémité de leur "ventre" s'arrondit une une curieuse protubérance gonflée. Elles sont incroyables à observer. On dirait des petits envoyés de l'espace. De part leur couleur irréelle, tout d'abord, mais aussi par leur déplacement. Bien verticales sur la mer, on dirait qu'elles remontent le vent. Avec Kim et Nico, en Martinique, nous avions pu observer un spécimen en péril sur le bord d'une plage, nous avions cru à un jouet en plastique tant les couleurs de la créature son peu naturelles. Celle-là gisait sur le flanc, ballotée par les vagues sur le bord de la plage, face au Diamant. Ses tentacules pendaient tristement en un amas mauve, informe et gluant. Mais celles que nous observons sont bien vivantes et droites, toutes aussi gonflées cependant, et avancent sans bruit au milieu de l'Atlantique. Il y en a des dizaines et des dizaines. Kim, si tu as une photo de cette fameuse méduse, peut-être pourrais-tu mettre un lien vers elle pour que nos amis du GAT puisse la découvrir ? Je crois que cet bestiole mérite d'être connue !!!

Cette nuit, la mer était d'huile. La brise thermique assoupie, il a fallu rallumer la machine. Le spectacle qui s'offrait à nous était à couper le souffle. La mer était d'huile. Pas une ridule. A tel point qu'à l'horizon, à la faveur de la brume, on ne pouvait distinguer où commençait le ciel. Le coucher de soleil a été irréel. La boule rouge vif, énorme, s'est détachée nettement sur l'horizon, dans une douce harmonie de roses tendres. Pas de Grand Embrasement, seulement un halo de nuages saumon pour nimber le cercle de feu. Plus tard dans la nuit, j'ai pu admirer un coucher de lune d'une toute aussi fulgurante beauté. De blanche luminescente, elle est devenue de bronze en descendant sur l'horizon. (Maintenant je sais pourquoi je n'avais jamais auparavant observé de couchers de lune : à terre, il y a toujours une colline derrière laquelle l'astre va se cacher, refusant de nous montrer les teintes mordorées dont il se pare en disparaissant).

Ainsi nous voilà ravis de profiter de cette accalmie reposante. Les accalmies sont toujours l'occasion de déguster de bons petits plats. Aujourd'hui, je vous livre deux de mes secrets en navigation. Le premier, c'est qu'il est toujours intéressant d'emporter dans les cales des préparations toutes faites (celles que l'on se refuse à acheter à la maison) pour gâteaux. En l'occurrence ici, pour cookies aux flocons d'avoine et à la cannelle (il y en a plein dans les supermarchés approvisionnés en produits britanniques ou américains). C'est prêt en un battement de cils : on verse la poudre de préparation dans un saladier, on ajoute un œuf, du beurre, une cuillère d'eau, on touille, on met sur une plaque recouverte de papier sulfurisé une série de petites boules bien espacées, on enfourne à thermostat assez fort, on cuit 10 minutes, et on déguste ces délicieux cookies moelleux à cœur et croustillants à l'extérieur (qui sont vraiment très bons pour le coup) à l'heure du thé avec un mug de Earl Grey bien chaud. Je soupçonne même que c'est réalisable par gros temps.

Autre petite fantaisie, une super recette de Porc au caramel Express (prêt en 10 minutes). Moi j'utilise mes bocaux stérilisés de porc cuit coupé en morceau. Le principe est aussi simple si la viande n'est pas en conserve.
- Faire cuire la viande (de côtelettes, de rôti, de filet mignon...) coupée en morceaux dans une poêle avec un fond d'huile (de sésame, si on veut faire plus chinois). La réserver.
- Dans le même temps, mettre du riz long grain à cuire dans une casserole d'eau bouillante dans laquelle on aura aussi jeté quelques champignons noirs chinois (ceux qui ressemblent à des trompettes de mort).
- Dans la poêle vide, verser : 4 cuillères à soupe rases de miel liquide, 5 cuillères à soupe de sauce soja, 2 cuillères à soupe de vinaigre (de riz, ou même balsamique), 1/2 tasse de vin de riz (= "mirin" plus parfumé, plus doux et plus sucré que le vinaigre de riz : à défaut, augmenter le vinaigre et couper à l'eau), 1 cuillère à café de gingembre frais râpé, 2 pincées de 5 épices, 1 pincée de piment de Cayenne moulu, du poivre du moulin.
- Faire bouillir le mélange sur feu fort. Quand il commence à réduire, ajouter la viande cuite. Bien enrober les morceaux jusqu'à ce que le liquide caramélise (5 minutes environ).
- Servir avec le riz.
Bien sûr, si on est à terre, quelques petits légumes et de la coriandre fraîche ciselée seraient un vrai plus !

Vous l'aurez compris, j'ai emporté sur Grégal bien des condiments de cuisine exotique (feuilles d'algues nori, riz japonais, sauce nuoc mam, sauce soja, mirin, vinaigre de riz, feuilles de riz pour nems, sauce d'huitres, gingembre frais que je renouvelle régulièrement, sans compter une multitude d'épices glanées ça et là au Maroc ou sur les îles - ras-el-hanout, muscade, cannelle, curry, colombo, badiane, piments, cumin et j'en passe). C'est un moyen infaillible pour cuisiner international et profiter des recettes locales ou d'ailleurs pour renouveler sans cesse la cuisine du bord.
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Position à 15h00 (UT-3): 36°45,15N - 59°50,95W
Cap Fond: 081° Magnétique
Vitesse: 3.0 nœuds