Mais quels sont ces bruits que nous percevons la nuit en mer ?
Tout d'abord, il est plus commode d'entendre quand on est préservé du vacarme toussotant du moteur en marche. Quand le bateau navigue sous voiles, voici ce que l'on entend.
En premier plan, net et précis, il y a le bruit sec et rapide d'une drisse qui claque sans interruption à l'intérieur du mât. Selon l'inclinaison du bateau et la force du vent, ce bruit peut varier. Juste après, il y a le clapot des vagues et des remous qui glissent contre la coque fendant les flots. Ce bruit glougloutant régulier s'apparente tantôt à celui d'un petit ruisseau dégringolant dans les pierres, tantôt à celui d'une vague tranquille qui viendrait mourir sur le sable d'une plage. Quand le vent fraîchit et que le bateau accélère, le remous s'intensifie jusqu'à se rapprocher de celui d'une chute d'eau. Mais par petit temps comme c'est le cas cette nuit, on n'entend que le clapot. Les vagues s'égrennent doucement sous l'étrave, sans malmener la coque en venant la frapper. Pas de heurts, rien que le glouglou.
Ensuite, du cockpit, le son qui vient immédiatement à nos oreilles est celui du pilote automatique en pleine action. Inlassablement, il tire et pousse la barre pour maintenir son cap, dans un bruit proche du roulement à bille d'une voiture télécommandée électrique. Le pilote a un bruit de robot. Un bruit de vérin métallique qui frotte et qui crisse. Puis, en fonction de la force du vent, il y a le son de l'éolienne qui tourne. Quand le vent est calme et régulier, comme ce soir, on croirait presque le bruit du vent dans les arbres, ou le froufrou d'un envol de pigeons. Quand le vent forcit, l'éolienne commence par imiter le bruit d'une autoroute lointaine, avec les voitures qui fileraient à la chaîne, puis elle monte dans les tours jusqu'à ce que le roulement caressant devienne sifflement strident. En dehors du "tac-tac", du "glouglou" et du "Rrrrr", il y a tout l'ensemble des sons d'un voilier qui navigue sous voiles. Par moment, une vague plus dure que les autres va donner un choc sourd et étouffé sous la coque. Et il y a la coque qui craque, en elle-même, ou qui se fait cage de raisonnance pour tout un ensemble d'objets qui viennent la heurter, à l'intérieur comme à l'extérieur : lampes à huiles qui s'entrechoquent imperceptiblement, lacet en perles du store qui cliquette contre le bois vernis du placard, seau posé au fond du cockpit qui glisse de quelques centimètres par moments, autres drisses qui utilisent à leur guise le mât creux comme un xylophone géant.
Dans cette petite symphonie nocturne, on dit que les capitaines sont capables de percevoir un changement de direction du vent d'à peine quelques degrés rien que par la modification du son que celui-ci fera dans les voiles. Essayez aussi un exercice fort plaisant : pendant le quart de sommeil du capitaine, prenez la barre et abattez ou lofez subrepticement de quelques degrés : vous verrez instantanément, dans les secondes qui suivent, apparaître le visage du capitaine dans l'encadrement de la descente. Ça marche à tous les coups (avec un bon capitaine). Voire même, si le pilote automatique se prend à faire des facéties de cap, vous verrez le capitaine surgir dans le cockpit alors que vous ne vous étiez encore aperçu de rien. Et vous auriez juré que dans la minute précédente, il dormait à poings fermés, tant rien ne dépassait de la couette de sa couchette !
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Un petit mot pour Chantal et sa famille : nous pensons bien à vous dans ces moments difficiles. On vous embrasse fort.
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Position à 16h50 (UT) : 36°58,52 N - 019°33,60 W
Cap Fond: 103° Magnétique
Vitesse: 6.85 nœuds (on fonce depuis 13h00 UT)
Distance parcourue dans les dernières 24h : 128 nm