31 août 2008

Santa Teresa di Gallura

Ce matin, Tom et moi partons dès notre réveil à la recherche de la roulette perdue. Nous nous rendons en annexe sur la plage au fond de la baie et parcourons pendant plus de deux heures un bord de mer jonché de déchets en tous genre. Autant dire que des bouteilles en plastique, il y en avait à la pelle, et des bouchons en liège, n’en parlons même pas. Aucune chance donc de savoir dans quel coin le bitogneau avait bien peu s’échouer. Nous revenons bredouille, réalisant a posteriori que notre quête était perdue d’avance. Au moins cela nous a-t-il permis de faire notre deuil de la pièce perdue.

Après avoir téléphoné à un shipchandler de la ville de Hyères qui nous a gracieusement indiqué le numéro de téléphone du service après-vente du constructeur de notre pilote, Raymarine, nous apprenons sur le répondeur de la-dite société que nous devrons attendre lundi matin avant de pouvoir avoir plus d’info. Mais Tom est un excellent capitaine, et pour ne pas gâcher l’ambiance à bord en passant le temps à se morfondre, il propose de changer de mouillage. Nous nous dirigeons alors un peu plus loin sur le cap nord, non contents de fuir le mouillage maudit.

Notre petite navigation nous porte à Santa Teresa di Gallura, petite bourgade touristique qui fait face à Bonifacio. Bien sûr, la ville sarde ne peut s’enorgueillir de superbes falaises calcaires plongeant dans la mer, mais son petit centre ville se bat bien, avec ses ruelles pavées et ses façades peintes de couleurs vives. Nous décidons de nous mettre au mouillage à l’entrée de la baie du port, où un petit renfoncement dans la falaise offre un abri satisfaisant. Devant nous, de petites criques caillouteuses et un sentier pavé avec des escaliers qui grimpent jusqu’au village, en passant par une petite tour de type génoise qui agrémente le paysage.

La journée se passe entre ballades, cartes postales, apéros, et se clôt par une tentative râtée de fabrication de gnocchis maison, mais à notre décharge, disons que nous avions improvisé faute de recette !

30 août 2008

Le mouillage maudit

Dans toutes vacances, il y a quelque chose qui foire à un moment donné. La semaine d’Elvire et Nico n’échappe pas à la règle. Après les joies de La Maddalena, nous nous dirigeons vers le cap nord de la Sardaigne et, fin d’après-midi oblige, nous choisissons un mouillage pas trop loin. La petite nav’ donne l’occasion à Elvire de prendre la barre avec brio. Le coin se prénomme Porto Pozzo et n’est guère intéressant. Un ensemble de constructions résidentielles d’allure moderne et sans charme se trouve au fond d’une anse profonde de un mille environ. Sur le côté, un village de vacances. Nous passons une nuit pourtant calme, amarrés à une bouée.

C’est le lendemain que les ennuis arrivent.

En fin d’après-midi, Elvire et moi allons nous promener dans le « village » avec l’annexe. Tom et Nico préfèrent rester à bord et s’adonner à une partie de pêche à la palangrotte. Quand nous revenons de notre balade, les pêcheurs en herbe n’ont encore rien attrapé de significatif. Nous les observons avec le sourire. C’est alors que Tom à un moment donné s’avance pour vérifier une ligne. Nous entendons un « crac ». « Merde ! Quelque chose a cassé ». Je suis juste derrière lui et nos yeux parcourent le même chemin : à nos pieds, c’est le pilote automatique (resté pour la première fois en plan dans le cockpit alors que nous le rangeons scrupuleusement tous les soirs après chaque navigation) qui s’est brisé en deux sous la semelle de Tom. Dans le même temps, il lâche avec un relatif détachement : « Une rondelle est tombée à l’eau ». Le temps de monter dans l’annexe avec l’épuisette : la petite pièce en plastique noir nous échappe. C’est le drame. Je suis catastrophée : « Le pilote ! Mais qu’allons nous devenir ! On en a au moins pour 2000 euros ! ». Tom, qui sait garder son sang-froid, part avec l’annexe essayer de repêcher la pièce manquante partie à la dérive. Pour l’histoire, c’est le vérin du pilote automatique ST 4000, qui joue le rôle de bras robotisé et qui se fixe à la barre pour lui donner un cap, qui s’est brisé. A l’intérieur, le long de l’axe d’entraînement du vérin, quatre petites roues dentées en plastique noir, grosses de moins de 1 centimètre de diamètre. C’est l’une d’elles qui a sauté à l’eau. Sans elle, point de réparation possible. Mais la nuit commence à tomber. Nous jetons à l’eau ce que nous pouvons pour arriver à suivre le sens du courant et garder trace de la dérive du pignon : bouchon en liège, bouteille en plastique remplie de feuilles de magazines colorées.

Nous passons ensuite une morne soirée à essayer de nous persuader qu’à tout problème existe une solution. Elvire, qui révèle ici ses talents en management d’équipe, soutient le moral des troupes en affirmant qu’il ne sert à rien d’envisager le pire (le remplacement du pilote) sans savoir si une solution alternative peut être trouvée (une réparation). Nico nous rassure en expliquant qu’il vaut mieux qu’une telle mésaventure nous arrive ici, à quelques kilomètres de la Corse, plutôt qu’au beau milieu de la pampa. En vain. Au moment de se résoudre à cuisiner un repas du soir, deuxième mauvaise surprise : notre casserole fétiche qui nous sert à cuire tout et n'importe quoi s'est vaporisée dans l'espace-temps quantique d'un univers parallèle (cf.M.Crichton pour Bestel :). L’omelette aux patates du soir cuisinée par Nico - pourtant très réussie- a un goût amer.

28 août 2008

Isola La Maddalena

L’île de la Maddalena est charmante, et son petit port de plaisance propret et attrayant. Nous arrivons en milieu de journée et les employés du port nous font le plaisir d’un coup de main pour l’amarrage à la place qu’ils nous indiquent. Un petit formulaire à remplir et hop ! le tour est joué. Tout aurait été merveilleux si le prix de la nuit n’avait dépassé les 40 euros (un peu cher tout de même). Nous apprendrons également un peu plus tard que l’île n’a aucune laverie automatique à disposition de touristes, de fait nous rentrons de notre premier tour de visite avec nos deux gros sacs de linge sale.

C’est toujours un plaisir d’être au port pour bénéficier du confort de la civilisation : douches chaudes, marchés, restaurants… Nous profitons de promenades paisibles dans les ruelles colorées pour admirer les échoppes, goûter aux fameuses productions multi-parfums des « gelaterias », déguster un plat de pâtes aux fruits de mer. Je suis ravie d’améliorer mon italien au jour le jour. Je dispose maintenant d’au moins trois phrases à proposer à mes interlocuteurs potentiels. Un petit tour enfin au supermarché du coin pour agrémenter le poisson frais du marché clôturera dignement notre escapade. Le soir : daurades grillées aux herbes : un régal.

27 août 2008

Isola Budelli ou les boats people

L’archipel des îles de la Maddalena offre un nombre généreux de petits mouillages bien sympathiques, propices à l’observation des roches rouges et pelées contrastant avec les eaux turquoises des plages. Après concertation avec nos invités, nous décidons que papillonner au gré des îles, dans relativement petite surface géographique, était le choix le plus judicieux, puisque nous avions la chance d’être en bateau.

Nous lisons dans le Lonely Planet que l’île Budelli (au nord de la Maddalena) renferme une spectaculaire « plage rose » (Cala Rosa), mais protégée, ce qui ne nous permettra pas d’aller y faire un plongeon. Le mouillage sur la côte est de l’île Budelli, au nord de la Cala Rosa, s’avère particulièrement idyllique, avec un petit lagon où l’eau est par endroit couleur Caraïbes, ce qui fait vite oublier les hauts fonds quelques mètres plus haut sur le passage dit « de l’Homme mort » (fond à 1,6 m) auquel bien sûr nous n’irons pas nous frotter, avec nos 1,82 m de tirant d’eau. Là aussi des corps-morts sont à disposition des plaisanciers, mais nous n’osons pas nous attribuer une bouée, ne sachant si elles sont réservées ou non. Le soir la mer plate scintille à la lumière des bateaux au mouillage, dans une paix singulière.

Nous constatons à regrets dès le petit matin que ce répit était de courte durée. Voilà que recommence, plus intense que jamais, l’incessant va-et-vient des bateaux italiens de tourisme (« promènes-couillons » pour les mauvaises langues, mais Elvire m’assure que c’est somme toute très bien pour qui n’a pas la chance de posséder un petit voilier). Contrairement aux Îles Lavezzi (qui sont reliées à la Corse) où circulaient des petites navettes transportant une quinzaine de personnes, les italiens optent pour la rentabilité en entassant tout bonnement des dizaines et des dizaines de passagers, qui dépassent et débordent en tous sens des bateaux (souvent de vieux chalutiers remasterisés en traversiers touristiques), massés sur les toits, ponts et arrière-ponts, assis les jambes dans le vide… L’image des boat-people s’impose à nos yeux perplexes. Ils passent cette fois à moins de deux mètres de Grégal, nous transformant pour l’occasion en vedettes d’un zoo à ciel ouvert. Curieuse impression que de voir ces centaines de paires d’yeux braquées sur vous, qui vous trouvez par ailleurs en maillot de bain sur le pont, comme si vous faisiez partie du paysage. A ceci s’ajoute une mer de petits bateaux à moteur qui viennent sur masser sur les eaux turquoises du passage de l’Homme Mort, lui donnant des allures de périphérique parisien aux heures de pointe. Mais ne soyons pas amers car les photos ci-jointes attestent tout de même de la beauté du site (soit dit en passant, la fameuse Cala Rosa n’est pas si rose que ça, mais je soupçonne que ce mythe a été échafaudé pour justifier les massifs déversements de touristes sur l’île).

26 août 2008

Îles Lavezzi

Hier, nous avons englouti les quelques 15 milles séparant Bonifacio de Palau, au nord de la Sardaigne, en 2h30. Poussés par un petit vent de nord ouest force 4-5, ce grand bord au portant nous a paru étonnamment rapide. Elvire et Nico étaient sur l’île italienne depuis le matin, nous les avons récupéré en fin d’après-midi avant de passer la nuit au mouillage devant le port de Palau (où, soit dit en passant, des corps-morts gratuits sont à disposition des navires de plaisance, comme c’est le cas un peu partout en Sardaigne, allions-nous nous rendre compte au fil de la semaine).

Aujourd’hui, première navigation de quelques heures pour notre nouvel équipage en herbe en vue de rejoindre les îles Lavezzi. Le ciel, voilé pendant une grande partie de la journée, nous fait l’honneur de son apparition franche vers 17 heures, l’occasion de s’émerveiller un peu plus de la transparence de l’eau et de la clarté des fonds. Petite séance PMT. Grand éventail de poissons devant nos yeux ravis. Il n’y a rien ou pas grand-chose sur l’île, si ce n’est de gigantesques cailloux aux formes saugrenues sculptées par les vents, de hautes herbes, un minuscule cimetière et de claires petites criques.

Tout aurait été merveilleux, ou presque, si nos paisibles heures passées au mouillage n’avaient dues être troublées toutes les dix minutes, en journée, par le ballet incessant des navettes pour touristes qui, peu scrupuleuses de s’intégrer à la quiétude du lieu, vos frôlent à quelques mètres – avec souvent petits commentaires grivois à l’appui –, générant une fâcheuse houle qui vous oblige d’un coup à saisir tout ce qui est posé sur le bateau : la cafetière du ptit déj’ qui vascille, le bouquin qui a valsé dans un coin, les bières de l’apéro qui manquent de se retrouver sur vos genoux…

25 août 2008

La Maddalena nous voilà !

J'écris depuis un petit cybercafé de Bonifacio. Pas eu le temps d'aller crapahuter sur les remparts, mais le port offre déjà de forts jolies scènes pittoresques. Nous sommes au mouillage dans une petite calanque à l'entrée du port, et nous déplaçons en annexe.

Nous avons encore fait une rencontre inopinée ! Lorsque nous cherchions à acheter un bateau en janvier dernier (cf.le post afférent), nous avions visité un petit sloop rouge en acier à Frontignan et cela avait été l'occasion de rencontrer Yvette, qui nous avait invités à boire le café sur son bateau sur lequel elle était partie pour une grande croisière avec ses filles et son mari. Et bien, nous avons mouillé l'ancre juste à côté d'eux ici à Bonifac'!!! Plus qu'une coïncidence ! On est allés ce matin les saluer depuis notre petite annexe. Nous avons échangé nos expériences respectives de la Corse, et il semblerait bien que nos chemins se croisent à nouveau car eux se dirigent aussi ver les Baléares, puis plus tard, après Noël, vers la Martinique. Décidément, le monde des navigateurs au long cours est décidément petit :)

Cet après-midi, cap sur Palau, en Sardaigne, en face de l'île de la Maddalena. Nous y retrouverons ma soeur Elvire et son copain Nico qui sont arrivés en ferry ce matin très tôt. Le vent est plutôt faible force 2-3 et devrait nous y porter sans difficulté.

23 août 2008

Avis de grand frais

Depuis hier, nous sommes au mouillage dans la baie de Figari. Quelques belles heures de navigation au portant depuis Tozzino nous ont amené jusqu’ici, mais si le vent avait déjà forci en fin d’après-midi, la nuit a confirmé l’avis de grand frais qui devrait durer jusqu’à demain. Dans ces conditions, on garde toujours une vigilance extrême quant à l’ancre pour vérifier que le mouillage tient bien et que le bateau ne « chasse » pas. Cela veut aussi dire : « petite nuit » en raison des vérifications que Tom opère toutes les heures.











Aujourd’hui, le vent force 6 à 7, s’il nous empêche de naviguer (par précaution), nous offre au moins l’occasion d’user et d’abuser de l’une de nos ressources rares : l’électricité. En effet, les rafales permettent à l’éolienne d’enregistrer des pointes de production à 8 ampères, sachant qu’en moyenne elle nous propose plutôt du 1 ampère. En la couplant avec notre panneau solaire, c’est la fête à la recharge d’appareils électriques en tous genres : ordinateurs bien sûr, batteries de Grégal, appareils photos, téléphones, recharges-piles et j’en passe. L’occasion aussi de rédiger des posts pour le blog sur le PC plutôt que sur mon bloc-note orange avec un bic, de retoucher des photos, et même ce soir de regarder un film !

22 août 2008

Grégalez-vous ! La « Salade Grégal »

Nous avons passé la nuit dans le joli petit mouillage de Tozzino, un peu plus au sud de Propriano. Les eaux y sont transparentes, alternant entre le vert lagon et le bleu profond, et les collines pelées alentour sont parsemées de gros rochers polis. L’approche, assez délicate en raison des hauts fonds et des récifs affleurants, a nécessité une vigilance particulière. C’est en général Tom qui mouille l’ancre et moi qui me tiens à la barre, mais, s’il m’est quasiment impossible de relever l’ancre seule, avec un peu de pratique, je devrais bientôt être en mesure de la lâcher moi-même au mouillage. Après tout, il suffit de se munir de gros gants.

Côté appétits du midi, l’idéal sur un bateau est de se cuisiner quelque chose de frais mais qui puisse donner assez de forces pour tenir plusieurs heures de navigation. Nous avons une recette de salade dédiée à cet effet qui, par sa fréquence d’apparition aux menus de midi, est naturellement devenue la « Salade Grégal ».

Ingrédients : (pour 2 personnes)

- 300 à 400 g de pâtes si possible complètes (idéalement : des pennes)
- 1 avocat
- 2 tomates bien mûres
- 1 pomme
- Quelques olives à la grecque
- Des copeaux de fromage sec (la Corse offre d’excellents fromages de brebis, assez secs, qui, sous forme de tommes, se tiennent très bien hors du réfrigérateur et dont la texture rappelle le parmesan)
- Quelques morceaux d’une charcuterie locale (nous nous délectons actuellement de « Lonzo », une espèce de gros et épais saucisson corse dont la texture rose et homogène rappelle le bacon, et le goût, un jambon sec plutôt salé).
- 2 œufs

Préparation :

Couper en petits morceaux l’avocat, les tomates, la pomme, le Lonzo et râper des copeaux de fromage pendant que les pâtes cuisent dans un volume d’un quart d’eau de mer et 3/4 d’eau douce. Ne pas oublier de plonger les œufs en même temps que les pâtes dans l’eau bouillante. Lorsque les pâtes sont cuites, les transvaser dans un saladier, y mélanger la garniture en petits morceaux, rajouter quelques olives noires et y couper les œufs en lamelles.

Cette salade se déguste avec la sauce suivante : 1/3 de volume de sauce soja pour 2/3 d’huile d’olive, poivre cinq baies.

21 août 2008

Le moine et les fourmis

Nous avons quitté Ajaccio aujourd’hui vers midi. Nous commençons à être bien rôdés pour tout ranger dans le bateau et nous préparer à la navigation en un temps record (autrement dit : tout caser, ranger la vaisselle qui sèche, dégonfler et plier l’annexe, enlever tout ce qui traîne dans le cockpit et sur le pont, se préparer à lever l’ancre). Une petite brise d’ouest force 2-3 était là pour nous accompagner, histoire d’admirer les belles capacités de Grégal à remonter au près avec grâce pour sortir du golfe.

Alors que nous longions la côte ouest direction Bonifacio, toutes voiles dehors, le bruit caractéristique de la ligne qui se débobine à toute allure se fit entendre. Tom avait placé un rapala de taille moyenne au bout de notre canne à pêche de compétition, au cas où. S’emparant du moulinet, il est estomaqué de la résistance qu’oppose la prise au bout de la ligne, alors que la canne ploie à 90°. Au loin, nous apercevons un poisson de bonne taille qui fait des bonds au-dessus de l’eau. « Je sais pas ce que c’est mais ça m’a l’air énorme ! » hurle Tom, en plein effort pour rembobiner le fil. Je suis assez inquiète de savoir ce que nous allons découvrir au bout de la ligne. Après une quinzaine de minutes de lutte, Tom parvient à ramener le poisson tout près du bateau. Nous découvrons avec effroi qu’il s’agit d’un énorme espadon d’au moins 1 mètre 50 qui se débat comme un beau diable. Son « bec-épée » doit faire plus de 60 centimètres. Sensiblerie excessive ou pas, je suis horrifiée : je me vois mal essayer d’achever cet énorme poisson dans le cockpit – même l’entière bouteille de rhum n’y suffirait pas – moi qui ne souffre même pas l’idée de tuer une bête, quelle que soit sa taille d’ailleurs (oui, c’est moi, au lourd passif de sauveteuse de vers de terre en perdition sur les trottoirs du chemin de l’école, ou coast-guard des scarabées frisant la noyade sur le bord de la piscine municipale, ou encore aujourd’hui, voiture-balai des escargots égarés sur la route après la pluie…). Tom a lui aussi du mal, et je le sens monter en nervosité devant mon affolement. Alors que le poisson est à la surface de l’eau, je me précipite sur la plage arrière pour essayer de lui enlever l’hameçon, armée d’une paire de gants. Tom me crie que c’est dangereux, que je risque de me faire embrocher par son bec ou de me prendre la main dans les crochets du rapala. A un moment, je saisis dans l’œil énorme de l’animal une expression empreinte de la plus haute incompréhension mêlée à de la terreur. Nous décidons d’un commun accord de couper le fil, en espérant que le poisson puisse se défaire du rapala par la suite.

Une fois chose faite, nous nous sentons coupables et amoindris d’avoir infligé ces souffrances inutiles à cet espadon. Cela me rappelle une petite histoire que j’aime beaucoup, et que je m’en vais vous conter ici en guise de prologue :

« Au cœur d’un temple, loin dans les abruptes montagnes himalayennes, un très jeune moine est un jour convoqué par son Maître. Le Maître fait asseoir son élève et contemple son avenir dans ses yeux. C’est alors qu’il lit avec douleur que le petit garçon va prématurément périr d’une pneumonie incurable, avant la fin de l’année. Pris de compassion, le Maître propose au garçon de prendre quelques semaines de repos afin de rendre visite à sa famille, sachant que l’enfant doit cheminer plusieurs jours durant pour rejoindre son village. Ravi, le petit moine prépare son baluchon et s’exécute. Quelques semaines plus tard, le Maître voit revenir le garçonnet. Il regarde à nouveau au fond de ses yeux et constate avec surprise que le petit moine vivra une longue et sage vie, et mourra dans son lit à plus de quatre vingt dix ans. Il questionne l’enfant : « As-tu remarqué quelque chose de particulier au cours de ton séjour ? As-tu constaté un évènement inhabituel ?». Le garçon réfléchit : « Non, rien de particulier. J’étais simplement heureux de revoir les miens ». Le Maître insiste : « Es-tu sûr ? Et comment s’est passé ton voyage ?» « Très bien, répond l’enfant, si ce n’est qu’à mon retour, la rivière dans la vallée était en crue, et que le pont de bois était infranchissable. J’ai dû longer la rive pour me rendre au prochain passage. En chemin, j’ai aperçu une fourmilière sur la berge qui commençait à être emportée par les eaux. J’ai seulement installé une branche pour que les fourmis puissent rejoindre la terre ferme ».

20 août 2008

Rêves de tortues

Ce soir nous sommes allés faire un tour du côté du Vieux Port d’Ajaccio pour y déguster une excellente coupe de glace. Depuis 3 jours, nous stationnons au mouillage devant le port Charles Ornano, une deuxième émanation du port plus récente et plus industrielle située au fond du golfe. Il y a d’ailleurs plusieurs bateaux qui ont aussi choisi cette option. Elle présente l’intérêt de ne passer qu’une nuit à quai au port, pour profiter de l’approvisionnement en eau et en électricité, et les nuits suivantes, de s’arrêter quelques mètres plus loin au mouillage sans aucun frais d’amarrage. Des courses à faire ? Un verre à aller prendre en terrasse ? Il suffit de sortir l’annexe et son petit moteur hors-bord pour rejoindre un ponton.

C’est en laissant Grégal alors que nous tracions notre route avec notre annexe au milieu des bateaux au mouillage que Tom m’a fait remarquer un voilier qui nous disait quelque chose : un petit voilier de 9 mètres, d’un certain âge, avec une tortue de mer stylisée décorant son étrave. Il s’agissait du « Popote », l’ancien bateau de Alain Barinet dont nous avions suivi avec fièvre les aventures, récits d’une année sabbatique avec tour de l’Atlantique sur le site le-popote.com. C’était alors l’hiver, nous étions à la Morte (L’Alpe du Grand Serre pour les touristes) et nous rêvions nous aussi de nous lancer comme l’avait fait le Popote. A l’époque, je n’y connaissais fichtre rien en mécanique nautique, et toutes les astuces livrées sur ce site me semblaient rudement techniques. Plus tard, je suis retournée sur le-dit site et ai pu constater que l’équipement de notre Grégal, certes moins léché, ne s’éloignait pas tant de celui du Brin de Folie en question. En tout cas, c’est avec une vraie joie que nous avons salué le petit voilier à la tortue, comme un signe de bonne augure pour notre propre voyage.

Une pensée pour Baïa malade

Nous sommes toujours à Ajaccio ! Nous avons profité des services du port pour faire de grandes lessives, un plein d'eau et d'électricité au ponton, quelques bricolages et un gros ravitaillement de courses grâce au Super U d'Ajaccio qui vous livre vos vivres directement au ponton et ce, gratuitement !

J'ai eu ma mère au téléphone ce matin et qui nous a annoncé que notre petite chatte Baïa, qu'elle garde dans sa maison dans les Cévennes le temps de notre voyage, était à nouveau malade. Lorsque nous l'avons adoptée à la SPA, quelques semaines à peine après l'avoir ramenée chez nous, elle était tombée malade et avait dû être hospitalisée. C'était vraisemblablement un virus qui lui ronge ses défenses immunitaires et lui développe un tas de problèmes annexes (perte d'appétit, ulcères, problèmes sanguins...). Elle s'en était sortie, mais il semblerait que son changement d'environnement l'ait un peu perturbée, même si elle bénéficie maintenant d'un beau et grand jardin plutôt que d'une terrasse d'appartement, et son virus (tel de l'herpès) a refait surface.

Ma mère, qui adore les animaux et les connaît bien, s'en occupe professionnellement avec le traitement prescrit par la vétérinaire. On en est au stade de l'alimentation méticuleuse à la seringue, mais nous espérons que Baïa va reprendre des forces et venir à bout de son virus, pour redevenir aussi belle que sur cette photo qui date de cet hiver !


17 août 2008

Ajaccio


Hier, Tom a reçu un SMS de Cécile qui disait « Un 15 août à la Morte : brouillard, grêle et déluge… ». Nous, nous nous sommes réveillés au soleil et nous avons même eu trop chaud. La brise s’est levée sur Girolata et la météo s’est avérée plus clémente que prévu : le vent devrait souffler force 3 à 4 avec des raffales à 5, mais ce sera somme toute très praticable, loin de l’avis de grand frais des derniers jours. Nous mettons le cap sur Ajaccio, mais ferons une halte le soir à Cargèse, laissant entre Grégal et la capitale Corse une vingtaine de milles.

Aujourd’hui Dimanche, nous partons de bonne heure de Cargèse : il nous faut arriver en fin d’après-midi pour que Kim et Nico attrapent leur ferry. Le vent tombe mollement à l’approche du golfe d’Ajaccio. Il est 13 heures, nous décidons de mouiller près d’une jolie plage à l’opposée du port dans le golfe, l’occasion de nager et de prendre des bains de soleil. L’ambiance est un peu triste car nous devrons ce soir nous séparer et ce pour une durée de un an ! Cette semaine a en tout cas été un réel plaisir car nos invités ont été de vraies crèmes, redoublant d’énergie pour toutes les tâches ménagères ou les manœuvres à la voiles, ainsi Nico est-il devenu un pro du levage d’ancre (me sauvant dans la situation délicate où je peinais à porter les vingts kilos de l’ancre, alors que Tom affirmait qu’il fallait que je me muscle !!!), toujours enthousiastes devant le programme qu’on leur proposait.

Alors que le soleil se couche sur Ajaccio, nous apercevons l’énorme ferry qui vient s’amarrer tout près de Grégal. On se dit au revoir la larme à l’œil, et c’est à la lumière d’une lune énorme, dégustant seuls une soupe chinoise avec mélancolie sur le pont, que nous regarderons l’énorme navire s’éloigner. La liberté est une denrée rare qui est somme toute assez difficile à consommer : nous voilà devant notre année sabbatique qui commence, un peu livrés à nous-même, lancés sur notre bateau-maison avec encore tellement de choses à voir ! Mais il est vrai que nous perdons tous nos repères sociaux, et qu’il n’appartiendra qu’à nous de nous inventer une nouvelle vie à bord, faite de soleil, de mer et de découvertes, avec certes un peu moins de confort et de moyens mais nous l’espérons plein d’émotions à vivre…

15 août 2008

Grégalez-vous ! Lasagnes au chorizo, aubergine et poivron

Sur Grégal, nous avons décidé de ne pas nous laisser aller à la boîte de thon-macédoine en conserve-mayo. C'est pourquoi nous essayons de tester dès que possible des recettes apétissantes, que nous avons le plaisir de vous faire partager. Ces recettes nécessitent d'autant plus d'imagination que nous n'avons pas de frigo sur Grégal et qu'il faut bien se débrouiller avec. Cela dit, rassurez-vous, c'est tout à fait possible, pourvu qu'une petite épicerie soit à portée pour piocher deux poivrons et trois tomates.

Aujourd'hui, les lasagnes au chorizo, poivron et aubergine.

Ingrédients :
- Feuilles de lasagnes
- Huile d'olive
- 1 aubergine bien brillante
- 1 poivron rouge
- 1 boîte de pulpe de tomates ou 4 tomates fraîches
- 2 oignons
- 1 gousse d'ail
- 1 chorizo
- 1/2 litre de lait
- Poivre, sel, persil

Faire rissoler les oignons dans de l'huile d'olive jusqu'à ce qu'ils blondissent. Ajouter les tomates coupées en morceaux puis l'ail écrasé, le persil. Saler, poivrer.
Faire sauter à part dans une poêle un poivron rouge coupé en lamelles et une aubergine en petits morceaux. Si nécessaire, faire blanchir l'aubergine quelques minutes dans une casserole d'eau auparavant. Ajouter les légumes à la sauce aux oignons.
Couper le chorizo en petites tranches et le rajouter à la sauce. Faire mijoter une bonne vingtaine de minutes à feu doux.
Pendant ce temps, optez pour la méthode "bateau" de la Béchamel, également baptisée "méthode Cécile". Mettre dans une casserole deux cuillères à soupe de farine, rajouter 1/2 litre de lait froid. Porter le tout à ébullition, en remuant constamment avec un fouet. Quand la béchamel épaissit, rajouter un filer d'huile d'olive, saler, poivrer.

Pour dresser les lasagnes, choisir un plat rectangulaire. Le huiler dans le fond. Alterner 1 couche de pâtes à lasagne, 1 couche de sauce au chorizo, 1 couche de béchamel jusqu'en haut du plat. Si vous avez la chance de disposer de fromage râpé ou de parmesan, soupoudrez-en généreusement la dernière couche (ce n'était malheureusement pas notre cas mais le tout était très bon quand même).

Faire cuire à four chaud environ 40 minutes. Laisser refroidir légèrement, et dégustez !

14 août 2008

"Port Girolata"


Exaspéré par la nuit trop agitée du mouillage de Focolara qui ne lui a permis de dormir que quelques heures, Tom nous éveille avec le bruit du moteur de Grégal et, par un déploiement d’énergie matinal conséquent, relève l’ancre seul, et dans la foulée, hisse les voiles. Au saut du lit, nous n’avons plus qu’à nous débrouiller à préparer un café une fois en mer. Décidément, je préfère de loin déjeuner à l’arrêt !

Partis assez tôt, nous arrivons à Girolata en fin de matinée. Les petites maisons de pierre perchées au sommet des collines commencent à se dessiner. J’ai hâte de voir à quoi ressemble Girolata (prononcer « Girolat’ », à la Corse, en faisant claquer la dernière syllabe avec un « t » sonore) car Tom m’en a souvent parlé. C’est parait-il un petit mouillage idyllique, niché au fond d’un petit golfe, et accessible uniquement par la mer. Nous nous attendons cependant à voir plusieurs bateaux au mouillage, haute saison oblige. Ce à quoi nous ne nous attendons pas, en revanche, c’est de nous voir accueillis par un monsieur juché sur un zodiac gris, arborant un t-shirt « Port Girolata », qui, à coup de blagues cordiales (« C’est normal si votre hélice tourne dans les airs ? »), nous explique qu’il va nous placer sur les corps-morts « du port ». « C’est la troisième saison monsieur qu’on fonctionne comme cela », réplique-t-il avec le sourire quand Tom s’étonne de ces nouveaux aménagements. « Nous menons également une politique de tri sélectif des déchets, voici un sac biodégradable que vous voudrez bien utiliser pour vos fermentescibles et le déposer dans notre local à compost ». Kim, qui avec ses longs cheveux et ses yeux bleus sait être plus diplomate, apprendra plus tard du même homme que c’est là une initiative communale pour maîtriser la fréquentation du golfe et profiter des retombées du tourisme. Les employés du port font en effet partie des dix habitants locaux qui résident à l’année à Girolata.

Somme toute, sans avoir vu le coin dans ses atours sauvages, je le trouve plutôt bien aménagé. Les restaurants et boutiques sont installés dans de jolis petits bungalows en bois, ornés de fleurs, chaises peintes de couleurs vives, mobiles réalisés en éléments naturels, portails en bois flotté. Bien sûr, le kilo de tomates est à 5 euros, bien sûr, la petite monnaie n’est pas acceptée de bon cœur « car il faut l’évacuer par hélicoptère, comme tout le reste », mais l’endroit a un charme certain. Un petit chemin dans la colline mène à une minuscule crique où l’on peut se baigner dans l’eau claire, si l’on ne craint pas la présence toute proche des dizaines de voiliers du port. Le soir, nous allons festoyer dans un restaurant un peu en hauteur dans le village, où tout ce que nous mangeons (salade de crudités, pennes au ragoût de sanglier, glace à la châtaigne et fondant au chocolat) prend un goût délicieux. C’est fou comme tout se qui se consomme en mer ou à terre après la navigation nous semble merveilleux : même un plat de pâtes au fromage nous délecte avec ravissement. Un peu comme un bon casse-croûte au milieu d’une randonnée en montagne…

Un avis de grand frais est prévu jusqu’à samedi. Nous prenons la météo avec attention car Kim et Nico doivent être à Ajaccio dimanche soir pour prendre leur ferry.

13 août 2008

Scandola, oblades et PMT

Nous avons quitté Galeria pour nous promener le long des roches rouges de la réserve de Scandola. L’eau y est d’un bleu profond et les sars et oblades (ces petits poissons « égoutiers » qui se précipitent sous votre bateau dès que vous vidangez quelque chose) peu farouches. Nous profitons de ce cadre superbe pour nous adonner au PMT (palmes-masque-tuba) avec bonheur et tester notre annexe pour admirer les roches. Le vent est cependant encore un peu fort, et comme il est interdit de mouiller de nuit dans la réserve, nous rebroussons légèrement chemin pour nous arrêter dans la baie de Focolara. Il s’y trouve une minuscule petite plage dans laquelle plongent la montagne et le maquis. Le lieu est sauvage et insolite, bien que peu abrité de nuit par vent de nord-ouest. Ainsi, nous dormons assez mal, bercés par les chocs incessants des câbles dans le mât et de la vaisselle qui vacille dans l’évier.

12 août 2008

La fête du Thon

La soirée d’hier au port de Calvi n’a pas été triste, surtout pour Nico qui s’est attelé au découpage du thon à la nuit tombée sur le ponton à la frontale ! Aujourd’hui, nous avons navigué le long de la côte jusqu’au golfe de Galeria, un peu plus au sud. Une petite anse, certes pas très typique mais accueillante, nous a gracieusement offert son mouillage. Cette halte a été l’occasion de nous lancer dans la cuisine du thon sous tous les angles : il fallait bien leur faire honneur, à ces dix kilos de poisson !

Kim avait assuré toute l’après-midi le découpage des darnes et arrivés au mouillage, nous avions eu le temps d’établir un plan d’attaque. La veille, les morceaux les plus beaux, à savoir trois généreuses darnes, avaient été dégustés en avant-première, juste frits à la poêle, pour nous récompenser de nos efforts de navigateurs transcontinentaux. Ce soir, le reste de thon frais sera religieusement associé à la confection de sushis. Je voue depuis plusieurs années maintenant un culte à la consommation de sushis, que, afin d’en maximiser le rapport qualité-prix, j’ai appris à préparer moi-même. J’ai de fait emporté sur Grégal tout le nécessaire à ce petit rituel que Tom et moi prendrons plaisir à réitérer dès qu’un ravitaillement en poisson frais sera possible : riz japonais, vinaigre de riz, natte à makis, sauce soja, wasabi et gingembre mariné (gari).

Pour le reste de l’équipage qui n’est pas aussi fan de poisson cru, nous avons sélectionné une recette dans un petit livre bien utile qui nous a gracieusement été prêté par Kim et qui figure à bonne place dans la bibliothèque de bord : « La table du marin » de Jean-Michel Girard (éd. Les Presses du Languedoc), à savoir, la recette de la « Charmoûla ». Cette recette était jadis utilisée par les pèlerins qui voyageaient jusqu’à la Mecque pour conserver le poisson, ou toute autre denrée d’ailleurs j’imagine. D’après l’auteur, « l’intérêt de ce plat, sans parler de sa qualité gustative, est qu’il se conserve longtemps au froid (facilement dix jours) et deux jours au moins à température ambiante ». Nous avons testé et effectivement, le plat préparé a été gardé trois jours dans notre glacière sans glace ! (Et oui, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Grégal ne possède pas de frigo ! Choix énergétique et pratique, dirons-nous, car un frigo est un gros wattophage). Voici le principe : faire mariner une heure les morceaux de poisson dans une marinade d’huile d’olive, additionnée de cumin et d’harissa (nous, nous n’avions pas d’harissa, mais un bon piment en poudre a très bien fait l’affaire), puis faire frire le poisson dans une poêle, le réserver, faire rissoler dans la même poêle une grande quantité d’oignons en lamelles, quand ils sont blonds rajouter des épices (4 épices pour nous, puis poivre et cannelle) et saler bien, ajouter un demi verre de vinaigre (pour nous, du balsamique), trois cuillères à soupe de miel et 100 grammes de raisins secs, faire réduire la sauce à feux doux et enfin ajouter le poisson (nous, on l’a ajouté avec sa marinade). C’est délicieux chaud comme froid.

Galvanisés par notre réussite culinaire, nous avons même tenté la confection d’un pain grâce au four de Grégal qui s’est avéré excellent lui aussi !

10 août 2008

La prophétie de Gérald

Gérald nous l’avait prédit : « Pendant la traversée vers la Corse, vous prendrez sûrement un thon ». D’ailleurs, lui, Gérald, papa de Kim de son statut, n’a jamais effectué une traversée sans en pêcher un, de thon. Depuis cette déclaration prophétique, Kim et Nico ont commencé à sentir la pression peser sur leurs épaules au fur et à mesure que la date de la traversée approchait. Sans le concéder ouvertement, ils se faisaient un devoir civique de descendants de pêcheurs de baptiser notre superbe nouvelle canne à pêche avec du vrai « gros » poisson. Nous les avons récupéré à Cassis. On les a vu arriver au bout du ponton, la banane habituelle bien vissée sur leurs visages, la démarche détendue, le geste de la main cordial et optimiste. Kim et Nico, quoi.

Sur ce nous avons profité d’une petite fenêtre météo qui s’offrait à nous. Après l’avis de grand frais qui nous avait cloué au port deux jours durant, le samedi se découvrait plus clément avec un vent d’ouest force 2 à 4. Après, le vent devait tourner au sud, ce qui nous aurait sérieusement handicapés pour rejoindre la Corse. En effet, traverser avec le vent dans le nez n’est jamais très aisé, ni agréable. Nous sommes donc partis à 14 heures. Au moment où nous passions l’entrée du port, je perdais mon bas de maillot de bain framboise, tel un appel aux grands carnivores des profondeurs.

Pour la traversée, jusqu’à l’embouchure de la baie, c’était fort agréable. Passée la protection des caps, nous avons retrouvé une sournoise et mauvaise houle nous venant du grand large, formée par les vents violents de la veille. Une bonne grosse houle avec des creux allant au moins jusqu’à 6 mètres. Au début, j’ai même tenté, détendue, de cuisiner une petite tortilla pour le midi. Par la suite, Nico et moi l’avons généreusement rendue à la mer. Nico et moi souffrons tous les deux du mal de mer, pendant que Kim et Tom vaquent gaiement à leurs occupations, restant de longues minutes à farfouiller dans la cabine, dégustant un petit verre de rouge avec leur repas de midi… Le mal de mer est un mal pernicieux qui vous cloue sur place et vous empêche de vous concentrer sur une quelconque autre activité que celle de refreiner le vomissement en respirant fort. Les explications scientifiques précisent même que le cerveau, saturé d’informations contradictoires à cause d’un environnement qui bouge et d’une position au contraire statique du corps, qui ne sollicite pas les muscles et autres ligaments alors qu’il le devrait pour se maintenir en équilibre, parvient au « burn out » qu’il ne peut compenser que par le vomissement. Belle perspective…

La nuit de samedi à dimanche a été rude. Nous avons ménagé des quarts de trois heures, alors que notre valeureux capitaine, dopé au café, veillait lui avec chaque équipier. Hé oui, je n’ai moi-même pas encore assez de bouteille pour suivre un quart seule ! Le problème, c’est que cette maudite houle qui faisait tout s’entrechoquer dans le bateau, nous empêchait pas mal de dormir. Lorsque c’était mon tour de veiller, je devais me concentrer sur les étoiles pour ne pas régurgiter mes pâtes au parmesan que j’avais d’ailleurs été incapable de terminer. Au petit matin, Kim et Tom nous ont révéillé à grands bruits : des dauphins !!! Nous les avons aperçu quelques secondes auprès de l’étrave, nous saluant d’un saut rieur, avant qu’ils ne poursuivent leur route.

Le reste de la journée du dimanche a été beaucoup plus confortable. La houle s’était apaisée, et nous filions doucement sur l’eau. Si doucement qu’à un moment donné, il a bien fallu allumer le moteur pour ne pas risquer le sur-place. Nous avons même pu observer une baleine, spectacle toujours fascinant et rassurant, pour les eaux de méditerranée. C’est alors que brusquement, nous avons été tirés de notre torpeur par un bruit bien familier pour Kim : le sifflement de la ligne qui se déroule à toute allure : « Hé !!!! ça pite !!! » (« piter » signifie « mordre », en marseillais). S’ensuivit une lutte sans merci entre Nico et notre prise. Il fallut néanmoins attendre un peu qu’elle se fatigue pour pouvoir la remonter. Alors que Nico peinait à rembobiner le tout, nous apercevions vaguement un aileron arrondi et un dos bleuté. Horreur !!! Etait-ce un bébé dauphin ? Tom affirma qu’il ne s’en remettrait jamais et qu’il préférait dores et déjà se suicider. Fort heureusement pour la survie de Tom et des dauphins, nous avons pu constater quelques minutes plus tard qu’il s’agissait d’un joli thon. La technique de la bonne rasade de rhum dans les ouïes, que j’avais lue quelque part et tenu à utiliser, lui a empêché d’inutiles souffrances. Et nous nous retrouvions avec une belle bête de 90 cm pour près de 10 kilos ! A cet instant, nous avons tous eu une pensée émue et impressionnée pour notre prophète à qui nous n’allions pas tarder à annoncer notre exploit.