3 juillet 2009

Transat retour Açores - Gibraltar : J+5

Ce matin, il fait gris, il bruine et le moteur tourne. Il ronronne tant bien que mal sa chanson de vieux diesel enroué. Derrière les nappes de nuages bas et gris, on s'attend à tout moment à voir surgir les rochers noirs et sinistres de Gibraltar, sous la pluie fine comme de la neige pulvérisée. Mais il n'en sera rien, nous sommes à un peu moins de 400 milles du Rocher et de ses Anglais tapis dans ses galeries souterraines.

Hier soir, le ciel s'était dégagé pour nous offrir une fin de journée éclatante sur fond de bleu d'azur et de mer tranquille. C'est à ce moment que nous avons aperçu des voiles au loin. Le bateau en question était un grand catamaran. Nous l'avons appelé à la VHF pour le saluer gaiement, alors qu'il était derrière nous à moins de 3 milles. Nous avons d'emblée parlé en français. Dans ces latitudes, il n'y a guère plus que les Français qui font route vers Gibraltar. Les Suisses, les Belges, les Suédois, les Norvégiens, les Bretons et les Saxons ont bifurqué il y a longtemps en direction de la route Nord, au large de la Corogne. Les Espagnols et les Italiens, eux, ne sont pas de fervents navigateurs. On les croise bien peu sur les océans du Globe, sans doute parce que leur Méditerranée natale les comble et qu'ils n'éprouvent en rien le besoin d'aller voguer sur d'autres eaux.

Le capitaine du catamaran, d'un certain âge, a eu l'air surpris et poli. Nous avancions sous spi, lui, sous gennaker. Nous à 4,5 nœuds, lui à 5,5. "Oui, tout à fait Grégal 7, je vous vois très bien. Quelle taille faites-vous ?" " - 9,50". "Ah oui, très bien". Ne sachant plus quoi ajouter, il nous a souhaité en retour le bonsoir. "Et bien, je vous souhaite également une bonne soirée".

Nous avons persévéré sous spi toute la nuit. Pendant son quart, jusqu'à 1 heure, Tom a bénéficié d'un petit souffle qui a poussé Grégal à un peu moins de 5 nœuds dans la nuit claire (c'est la lune montante). Lorsque ça a été mon tour, j'ai angoissé pendant trois heures de peur que le vent ne tombe. De 4,5 nous sommes passés en moins d'une heure à 4 puis 3,5 puis 3 nœuds. A ce stade, le spi et la grand voile ne se gonflent que faiblement et de manière incertaine, par à-coups, en vacillant sous des inspirations lentes et faibles, comme si le manque de vent suffoquait leur poitrine asthmatique. J'ai veillé ces voiles malades toutes les 5 minutes, un œil rivé sur la toile faiblissante, l'autre sur l'écran de l'ordinateur qui égraine notre vitesse moyenne à la minute. "Si on passe sous la barre des 3, on affale tout", me disais-je. Mais le spi ne s'est pas enroulé autour de l'étai, cette fois. Quand Tom a pris la relève, à 4 heures, le vent était toujours à peine suffisant mais nous avancions encore. Ce n'est qu'à 8 heures du matin qu'il a fallu se résoudre à tout ranger et à allumer le moteur.

Toute la nuit, nous avons observé derrière nous le catamaran qui tirait des bords sous gennaker. Sa petite lumière tantôt verte tantôt rouge se déplaçait de droite et de gauche en diagonale, pendant que nous naviguions à peu près droit, maintenant le cap. Ce n'est qu'au petit matin que, vaincu, il a lui aussi allumé son engin et nous a doublés, sous l'écume de ses 2X100 chevaux. On a continué, pépères, à nos 5 nœuds réglementaires au moteur, en regardant le petit point blanc disparaître à l'horizon sous les nuages.

La météo des prochains jours ne prévoit guère plus de vent. Ce n'est qu'à l'approche des continents que tout s'accélère, les vents de l'Atlantique s'énervant au contact de la terre qui les bloque dans leur progression. Là on peut se faire un peu chahuter.

Mais pour l'instant, le calme et le gris dominent. Au loin un cargo passe, long et plat, et la VHF commence à toussoter des conversations grésillantes en toutes les langues. Le Rocher, la terre, la civilisation et l'agitation qui va avec se rapprochent imperceptiblement...

PS : Merci Céc et Fa pour tous vos messages sur l'Iridium que nous recevons quotidiennement et qui nous font vraiment plaisir ! Bonnes promenades en montagne et bonnes soirées autour de l'apéro avec les Couards qu'on embrasse. On aurait aimé vous rejoindre aussi pour le génépi 2009 !
PS 2 : Céc, peux-tu demander à Yves de préparer comme prévu un lot de 450 paires de skis droits à l'attention de Momo et Ali qui passeront les prendre Dimanche 5 juillet à la gare routière de Grenoble car la saison démarre chez eux très bientôt mine de rien. Yves, n'hésite pas à leur payer un coup à boire quand tu les verras, ils ont quand même plus de 8 jours de bus à se taper pour rejoindre Essaouira... :)

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A 13h UT le soleil est revenu, quelques cumulus, jolie brise ONO. On reprend de la vitesse et on tombe le t-shirt. Je regarde la carte et je m'aperçois que nous allons passer entre 2 haut fonds cette nuit. L'un à 20m, le Gettysburg Seamount, l'autre à 28m, le Ormonde Seamount. C'est fou. En ce moment il y a plus de 4000m sous nos pieds.

Position à 17h22 (UT) : 36°37,71 N - 012°18,09 W
Cap Fond: 92° Magnétique
Vitesse: 5.6 nœuds
Distance parcourue dans les dernières 24h : 102 nm


5 Responses:

Nono a dit…

Ouah ! Vous voilà presque arrivés ! (Pas encore eu le temps de lire vos derniers messages mais je viens de regarder la carte avec votre balise de positionnement). Bon, je vais commencer à préparer le barbuc et les apéros. Saignant ou bien cuite l'entrecôte ? Nous vous embrassons bien fort. A bientôt. (Nous espérons quand même bien que vous allez trouver un créneau pour venir nous rendre visite. Ha, la dure réalité du retour des héros : va falloir signer des autographes, dédicacer des bouts de voiles tout ça tout ça...)

Unknown a dit…

Déjà presque arrivés, vous avancez super bien . C'est quoi ce drôle de truc, le gennaker ?
Bises
Fanny

Elvire a dit…

C'est fou comme ça file vite un Gregal: plus qu'un demi centimètre des côtes !

Unknown a dit…

Ouaahh, bientôt arrivé ! On va vous préparer des bons apéros, vous serez pas trop dépaysé!

Aude a dit…

T'inquiète Nono, on est bien décidés à venir goûter tes ptits barbec estivaux ! Il ne nous reste plus qu'à nous monter un planning en béton pour toutes les visites des deux mois à venir ! (mais on moins, ça nous permettra de manger à l'oeil chez l'habitant ;)

Et les apéros, Nico, cela va sans dire ! On va tellement vous envahir que votre mini citronnier-vert sera plumé en moins de temps qu'il ne faut à deux ex-carribéens en vadrouille pour vider un ti-punch !

Fa : le gennaker, c'est une voile d'avant légère, qui, comme son nom l'indique, est un mélange entre le spinnaker et le génois. On la hisse sur une drisse aussi mais on l'installe sur une bout-dehors au lieu d'un tangon. C'est la toute dernière mode ! :)