4 juillet 2009

Transat retour Açores - Gibraltar : J+6

Ça sent la fin et ça a un goût amer. Depuis notre départ des Açores les dauphins ne viennent plus nous voir. Un peu comme s'ils avaient tout compris et que ça ne servait plus à rien de passer à l'étrave. Moi je me lève bien droit sur le roof et je les appelle gaiement. Je les vois là-bas, à quelques centaines de mètres alors je gueule encore plus fort. J'attends. Rien. L'océan n'a plus d'écho. La canne à pêche je la sors tous les jours que Dieu fait, que dalle. Il y a encore quelques mois nous étions les meilleurs pêcheurs de tout l'Ouest avec une prise assurée au bout de seulement quelques heures, il fallait juste prendre la peine de dégainer négligemment le Rapala. Même les oiseaux, nos fidèles compagnons de route, ils tracent sans faire trois fois le tour du bateau. Plus rien d'autre que des appels VHF en Russe entre porte-containers. Ça me fout un coup de blues ces conneries.

Avant hier la toute petite brise soufflait de l'Ouest et notre maudit cap était à l'Est. C'était faible mais suffisant pour bien avancer à condition de descendre au Sud de quelques dizaines de degrés plutôt que d'avancer plein Est dans le roulis à 2 nœuds. 300 milles nous séparaient de Madère, cap Sud-Est. A croire que c'était la dernière perche qu'on nous tendait. Je ne vous cache pas que l'idée m'a traversé l'esprit un bon petit moment. Bah alors, pourquoi pas, tiens ? Le bateau, lui, il peut encore en faire des tours. Tant qu'on l'aime, qu'on sait lui redresser le dos, qu'on pense à changer sa garde robe de temps en temps et qu'on lui cause comme il faut - chose qu'on sait bien faire maintenant -, il nous mène où on veut, toujours fièrement.
Mais non, on ne redescendra pas au Sud. On regrette de ne pas le faire, malgré la hâte de retrouver nos amis et nos familles.
Je crois que maintenant qu'on sait ce qui est bon, se projeter dans le train-train, ça nous affole.

C'est l'heure de l'apéro et donc je me sers un verre de rouge, un peu dégueulasse, faut bien l'admettre. La piquette ça abrutit, mais bizarrement celle-là elle m'inspire. J'imagine que si j'avais toujours gouté que de la piquette, je dirais que le vin, c'est pas fantastique, certes, mais que c'est comme ça, pas mal. Depuis qu'on est partis, c'est un peu comme si j'avais acheté, pour une poignée d'euros, une cargaison du meilleur vin du monde. Un an de consommation, une affaire en or. Les premières semaines, je découvrirais ce qu'est le vin, le vrai, le bon, celui qui excite les sens, qui vous rend heureux comme par magie. Pendant les mois qui suivraient, je deviendrais alors capable d'en capter toutes les subtilités, je saurais l'apprécier sagement et naturellement. Autour de moi, mon réseau de connaissances se serait resserré autour d'amateurs de vin et on jouirait tous ensemble de nos belles bouteilles. Forcément, ça serait le bonheur. Mais le temps passerait et voilà qu'arriverait le 365ème jour. J'ouvrirais la dernière bouteille et j'aurais beau savoir que c'est exactement la même que toutes les autres, elle n'aurait pas le même goût. A vrai dire, elle me rappellerait étrangement cette piquette.

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Position à 17h04 (UT) : 36°25,37 N - 009°52,41 W
Cap Fond: 100° Magnétique
Vitesse: 5.0 nœuds
Distance parcourue dans les dernières 24h : 125 nm


8 Responses:

Claire a dit…

Ah, j'vois bien ce que tu veux dire!!!
J'imagine à quel point le retour est autrement moins enthousiasmant que le passage d'île en île.
Pour autant, la collection de bons moments engrangés que tu peux ressortir à chaque instant, celle là elle t'appartient, elle est immense et c'est un terreau splendide pour tous les projets à venir.
Je vous envoie plein de bonnes énergies et au plaisir de boire un verre très bientôt ensemble.

Kim a dit…

Tom, tu as la prose amer du marin qui devine la terre pas loin...
Allez va, déprime pas, on pourra pas te faire oublier tes nuits de quart au milieu de l'océan, mais même à terre on pourra sûrement partager de bons moments bien sympathiques. Et le vin, ça se boit mieux entre amis ;) Et puis, le Grégal, quand il sera à l'anneau, il attendra plus que ça, que vous le ré-équipiez pour une petite traversée...

Elvire a dit…

c'est sûr, ça doit être flippant ces derniers milles... en même temps, un nouveau regard qui se pose sur les choses que l'on croyait connaître, et tout est différent.
Et la montagne a du préparer le genepy: les reserves doivent être bien basses à bord !
bizz
elvire

Unknown a dit…

Allez, ne soyez pas nostalgiques. Le train-train, ça se choisit, et c'est pas vraiment votre genre alors pas besoin de s'affoler... Pensez plutôt bivouacs, escapades en mer (Gregal sera toujours prêt !), montagne, copains, jardinage, fêtes, familles et pourquoi pas un peu de plaisir à bosser aussi ?
Bises énormes
Fanny

Perrine a dit…

très parlant ce post, Tom! je comprends que la nostalgie vous envahisse déjà mais vous avez vécu et vu des choses incroyables qui donneront justement à votre vie une saveur différente et un petit grain de folie supplémentaire;) Grégal sera toujours vaillant et partant pour de futurs périples! Je crois qu'il y a pas mal de volontaires pour vous rendre le retour des plus agréables. et il y a qques trucs wizz aussi à ferme sur la terre ferme! ;) bises, soyez forts

c0rle0ne a dit…

oula captain Tom! allez reboit un verre et ca ira mieux! on sent en effet une nostalgie précoce! vous êtes pas encore arrivé et puis vous repartirez surement, hehe :)
nous aussi on va être en manque de blog!!!!!! allez je me sers un verre de piquette aussi!!!!!!!!

Unknown a dit…

Il est magnifique ton post tom. Super touchant.

J'espere que vous allez réussir à vous réaclimater à la vie d'ici... Et des virées, vous pourrez vous en refaire des tas, c'est ca qui est beau quand on est jeune et qu'on a la vie devant soit.

Et puis si tu as toujours le mal de terre, un soir de bivouac, pendant que tu dors sur un hamac entre 2 arbres, on pourra te balancer des seaux d'eaux dans la tête pour te redonner un peu des sensations de grand large ;)

marie a dit…

qu'est ce que c'est que ce coup de déprime !! le train train ? un mois, deux mois tout au plus et vous serez repartis pour de nouveaux projets encore plus fous qui nous feront trembler encore toute une année !! hauts les coeurs les navigateurs, ici on vous attend de pieds ferme.
bises